En quête de légèreté

Entrevue avec Étienne Fletcher
Crédit photo : Steven Grondin

Le soleil est radieux et ses rayons se font une belle place au deuxième étage du Il Teatro. C’est là où nous avons donné rendez-vous à Étienne Fletcher, de passage à Québec, le temps d’un spectacle au Théâtre Petit Champlain en formule quatuor. Sur scène, il y revisitera certaines chansons de ses précédents albums, mais y présentera surtout l’intégralité des pièces de son nouvel album “Kauai O’o”.

Étienne Fletcher a grandi en Saskatchewan dans une famille où le français était omniprésent. C’est cet amour pour la langue française qui l’amène à voyager… énormément. “J’ai commencé avec mon groupe où l’on chantait en anglais. À l’époque, on est venus jouer au Cercle à Québec et on avait vraiment eu une belle soirée. Ça m’a marqué parce que des gens, à la fin du spectacle, m’ont approché pour souligner qu’on avait fait des chansons francophones. Je me suis dit qu’en formule solo, il y avait peut-être quelque chose à explorer en français”, dit-il. La francophonie, des prairies canadiennes à la France, en passant par le Québec, est son terrain de jeu. Contribuer à favoriser ces liens entre le Québec et le reste du Canada francophone fait aussi partie de ses objectifs. “J’ai espoir que l’on puisse trouver une formule gagnante pour la communauté et pour les artistes de venir offrir des spectacles dans le reste du Canada. Quand j’étais jeune, parler français n’était pas très cool! Aujourd’hui, les écoles d’immersion françaises débordent. Les parents veulent que leurs enfants parlent deux langues. Mais on n’a pas mis le même effort dans les arts et la culture”, ajoute l’artiste, entre deux gorgées de café.

Étienne Fletcher – Crédit photo : Steven Grondin

D’une génération à l’autre, en français

Né d’un père anglophone et d’une mère francophone, Étienne Fletcher voit d’un bon œil cette nouvelle génération d’artistes qui souhaitent développer des projets artistiques en français et à leur manière, cassant légèrement le moule que leur ont laissé leurs prédécesseurs. “La relève d’aujourd’hui ne sera pas semblable à la relève des années de mes parents. Je trouve ça super, elle jongle avec une réalité complètement différente. C’est important qu’on ne les laisse pas tomber”, énumérant quelques artistes qui travaillent fort pour se faire une place dans l’univers de plus en plus difficile de la francophonie canadienne. La Ville de Québec a donc une signification toute particulière pour lui. “Quand j’étais jeune, je passais devant le Petit Champlain et je le trouvais tellement beau! On est déjà en train de parler de la prochaine tournée en Europe, mais c’est aussi un énorme privilège de pouvoir être ici, aujourd’hui, et de jouer au Petit Champlain ce soir.

À quoi on joue?

Le nouvel album de Fletcher, “Kauai O’o”, fait référence à cet oiseau découvert dans les années 70 sur l’île d’Hawaï. Les experts ont réalisé qu’il était le dernier de son espèce. Chaque jour, il remontait tout en haut d’une colline et chantait dans l’espoir de retrouver un autre oiseau de son espèce. Il a chanté jusqu’à sa mort et, donc, jusqu’à la disparition complète de l’espèce. “C’est tragique, mais en même temps, il y a une belle persévérance dans ça. Cette histoire était très fertile pour moi, je fais le lien avec les défis auxquels on fait face. On peut s’inspirer de ce récit pour traverser les moments intenses et difficiles”, raconte-t-il. C’est Antoine Fallu, chez Ruel Tourneur, qui le convainc de nommer l’album “Kauai O’o” pour tout ce que représente le nom. “Je m’étais dit que je ne voulais pas devenir “politique” dans mon approche, mais je me dis que tant mieux si cela fait qu’on en parle. Je pense que c’est important de revenir au rôle des artistes: en parler, remettre certains choix sociaux en questions, etc. Je n’ai pas ficelé ça de façon parfaite, mais je trouve ça bien de faire des clins d’œil au climat social. Je laisse le public interpréter le reste, selon son vécu”, conclut-il. Ce dernier est convaincu que l’on peut aborder ces sujets, dans un climat quelque peu tendu, si la manière de le faire reste dans la légèreté. C’est d’ailleurs la quête de l’artiste tout au long de l’album: peindre le portrait d’une société qui traverse de grands bouleversements, avec légèreté et humanisme.

Étienne Fletcher et Michaël Grégoire – Crédit photo : Steven Grondin

Deux ans de travail

Il aura fallu plusieurs mois à Étienne Fletcher pour arriver à proposer ce nouvel opus. Son projet a été discuté, réfléchi et enregistré alors qu’il était sur la route avec ses musiciens, en tournée. “Je conduisais la camionnette, on apportait des écouteurs et on faisait des modifications sur la route”, se souvient-il. Soyez sans crainte, il s’assurait de conserver les deux mains et les yeux sur la route. “Ce n’est pas parce qu’on l’a fait de cette manière qu’on devrait le refaire ainsi!”, lance-t-il en riant. 

L’artiste souligne que les chansons de cet album ont pris forme très rapidement. “Je pourrai toujours affiner les arrangements de mes chansons sur scène, mais j’ai envie de les assumer comme elles sont sur le disque”, dit-il. Étienne Fletcher travaille justement à la naissance d’un label, Homestead Records, qui aura notamment pour mission de créer des ponts entre le Québec, l’Europe et le reste du Canada francophone. L’entreprise a d’ailleurs lancé le nouvel album de l’artiste Sylvie Walker, une fierté pour Fletcher et sa bande. “Je pense qu’on est en train de se ruiner à se casser la tête sur la perfection, alors que ce n’est pas ce que le public cherche. Je pense que l’auditeur veut simplement ressentir quelque chose d’authentique.” Dans les mois à venir, plusieurs dates s’affichent au calendrier. Pour lui, le bonheur est de retrouver la scène, autant que possible. C’est d’ailleurs grâce à l’équipe de Ruel Tourneur qu’il peut s’exporter dans toute la francophonie. “La connexion avec les gens est tellement touchante. De me retrouver dans un petit village dans l’Ouest de la France ou au Québec, c’est tellement énergisant.

Étienne Fletcher – Crédit photo : Steven Grondin

L’impact d’une chanson

Nous ne pouvions terminer cette rencontre sans parler d’une chanson de Fletcher qui a eu un grand écho dans le cœur de nombreux Québécois: Jeu de mémoire, une pièce sur l’alzheimer qui a touché des membres de sa famille. “J’ai écrit cette chanson pour mes grands-parents, mais j’ai réalisé que ce n’était peut-être pas une chanson si personnelle. Elle a interpellé beaucoup de gens qui vivaient la même chose avec leurs proches et ça me touche à chaque fois d’entendre leurs histoires”, souligne-t-il. 

“Ton nom m’échappe, mais je sais que je t’aime”, peut-on lire.

J’ai vécu la réalité de l’alzheimer avec mon arrière grand-mère et j’ai ensuite vécu la même chose avec ma grand-mère. Mais l’amour reste, malgré la maladie. Tu voyais qu’elle aimait les gens autour d’elle et qu’elle savait que l’amour était réciproque”, se souvient l’artiste. Pour lui, le contact humain est d’une pureté qu’il est toujours difficile de décrire. “C’est le prix qu’on paie à aimer: on ne pourra pas rester pour toute la vie. Mon grand-père me raconte qu’il est fatigué d’enterrer ses amis. C’est une triste réalité, mais c’est la vie. Il faut en profiter et apprécier le moment.

L’artiste sera sur la scène du Théâtre Petit Champlain dans les prochaines heures et poursuivra sa tournée au Québec avant de se tourner vers la France. Il souligne sa rencontre avec l’artiste Martin Léon qui signe la mise en scène. “Je ne connaissais pas Martin, on a eu une discussion et ça a cliqué. On a passé deux jours ensemble, ça s’est fait rapidement, il est devenu un ami!”, dit-il. En formule quatuor, Fletcher promet de nous émouvoir, mais surtout de nous faire réfléchir et sourire. Parce qu’il n’a pas toutes les réponses, mais il se permettra toujours de poser des questions.

Étienne Fletcher – Crédit photo : Steven Grondin

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