« Le financement doit accompagner nos jeunes là où ils sont; sur la télévision traditionnelle, mais aussi sur les plateformes numériques et interactives, pour que notre culture demeure visible et vivante », lance en entrevue Steve Couture, président de l’entreprise Epic Storyworlds. L’homme d’affaires a publié une lettre ouverte, au cours des derniers jours, où il dénonce la décision du géant Rogers de vouloir mettre fin à sa contribution au Fonds Shaw Rocket, sa principale source de financement et la colonne vertébrale du contenu jeunesse canadien.
Au fil de la discussion, on sent d’emblée que l’intention est constructive. S’il a publié une lettre ouverte sur le sujet, ce n’est ni pour provoquer ni pour dénoncer un individu ou une institution. C’est par nécessité, par responsabilité. « Ce n’est pas une lettre contre. C’est une lettre pour », précise-t-il. Pour les enfants. Pour les créateurs. Pour l’avenir culturel d’un pays. Et pour rappeler qu’il y a urgence », dit-il.
Une industrie en mutation
Steve Couture pointe les signaux d’un effondrement silencieux : disparition du Fonds Shaw Rocket, affaiblissement des chaînes privées comme Corus, diminution des investissements dans le contenu original jeunesse, explosion des plateformes sans obligation réglementaire. Une suite d’événements qui, mis bout à bout, forment ce qu’il décrit comme un effondrement systémique.
De son côté, Epic Storyworlds, le studio qu’il dirige, est en parfaite santé. L’entreprise a su bâtir un modèle multiplateforme autour de ses propriétés intellectuelles : séries animées, jeux vidéo, jouets, licences. Et pourtant, même avec ce niveau d’intégration, les défis se multiplient. « La structure peut sembler solide, mais les fondations deviennent poreuses », ajoute-t-il. L’entrepreneur ne parle donc pas seulement en son nom. Il parle pour un écosystème entier, où des talents exceptionnels peinent à faire financer des projets pourtant porteurs. Il s’inquiète notamment pour les générations futures, privées de contenus qui parlent leur langue, leur accent et qui expriment leur imaginaire.
Une culture jeunesse qui perd du terrain
Steve Couture fait le constat que l’on sous-estime gravement la portée des contenus jeunesse. “Ce que les enfants regardent aujourd’hui influence leur langage, leur vision du monde, leur rapport à eux-mêmes. C’est une question identitaire”, dit-il. Mais la réalité du terrain est dure : le contenu jeunesse canadien et québécois se fait de plus en plus rare. Les plateformes achètent des produits formatés à l’international. Le contenu local, même primé, doit se battre pour exister.
Un point le frappe particulièrement : l’aveuglement des décideurs face à ce que les jeunes consomment réellement. « Il y a un écart grandissant entre ce que les jeunes consomment réellement et ce qui leur est présenté par les professionnels », souligne-t-il. Les algorithmes cloisonnent les usages. Résultat : les plateformes, les gestionnaires de fonds, les élus consultent des chiffres qui ne reflètent pas les usages des plus jeunes.
Cette invisibilité algorithmique nuit à la prise de décision. On soutient moins, car on perçoit moins. Le contenu jeunesse devient une ligne de dépense, au lieu d’être vu comme un investissement social et culturel.
Il souligne enfin que les orientations proposées par le Groupe de travail sur l’avenir de l’audiovisuel au Québec (GTAQ) vont dans la bonne direction. Si elles sont mises en œuvre, le Québec pourrait devenir un modèle en matière de protection de sa culture, tout en plaçant les contenus jeunesse au rang de priorité.
Le modèle coréen comme source d’inspiration
Lorsqu’on évoque des pistes de solution, Steve Couture cite sans hésiter la Corée du Sud. Là-bas, l’État a fait le pari assumé d’investir dans sa culture populaire exportable. Résultat : une industrie florissante, des exportations massives, une créativité qui rayonne à l’échelle mondiale. « Ce qu’on appelle la KWAVE dans le jargon! ». Quand on pense à un succès comme celui du succès Netflix de KPOP Deamon Hunter, ou de celui de Squid Games, on voit l’impact du rayonnement de leur culture à l’échelle mondiale.
Ce modèle, dit-il, n’est pas un idéal inaccessible. Il est transposable. Pas dans sa totalité, bien sûr, mais dans son ambition. « Ce qu’ils ont fait en Corée, on pourrait le faire ici. Il faut juste qu’on y croie. »
Steve Couture lance un appel collectif à reconsidérer la place des enfants dans nos politiques culturelles. À comprendre que ce qu’ils consomment, comme ce qu’ils mangent, façonne qui ils sont. Et à reconnaître que soutenir le contenu jeunesse, ce n’est pas faire plaisir à un secteur. C’est investir dans le socle même de notre identité collective.
