C’est une idée que je caressais depuis longtemps, celle de réunir à une même table deux autrices que j’avais eu énormément de plaisir à lire (et à découvrir) au cours de la dernière année. Marie-Claude Bissonnette a fait paraître le livre “Prends soin, un ballon blanc et quatre saisons” en 2023 et Mylène Cinq-Mars a dévoilé le roman “Muse” l’an dernier. Deux bouquins qui m’ont – à leur manière – transporté et inspiré. Réunir ces deux autrices pour discuter du processus d’écriture, de l’univers de l’édition et de cet amour pour la littérature me semblait à propos. Et le résultat de cette rencontre se trouve au fil des prochaines lignes.
C’est au Château Frontenac que nous nous sommes attablés pour lancer cette discussion qui durera finalement près de 2 heures. “On m’a finalement dit oui après 5 refus”, mentionne la première. “Et moi 20 refus!”, lance la seconde. Voilà qui démarrait bien la discussion qui s’annonçait passionnante.
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Marie-Claude Bissonnette a évolué pendant plusieurs années dans le domaine dentaire avant de devoir réorienter sa carrière en raison d’ennuis de santé. De son côté, Mylène Cinq-Mars a bâti sa carrière dans le milieu des communications et de la publicité. Ce premier bouquin était, pour les deux autrices, un premier défi de taille. “C’est un milieu extrêmement difficile, c’est une grande leçon d’humilité. Il faut écrire pour l’amour d’écrire, sans avoir d’attente”, dit Mylène Cinq-Mars. “Jamais je n’aurais cru publier. Les gens autour de moi voulaient en lire davantage. C’est mon père qui m’a dit d’aller jusqu’au bout”, ajoute Marie-Claude Bissonnette.
L’inspiration comme un brasier
Une image vaut mille mots, comme on dit. C’est un “brasier” d’inspiration qu’ont ressenti les deux autrices lorsqu’elles ont pris la décision de se lancer dans l’écriture d’un premier ouvrage. “Étant donné que je consacre beaucoup de temps à la lecture, il faut que ce loisir m’apporte concrètement quelque chose. Il faut que ça me bouleverse, que ça me remette en question. J’ai accumulé toutes sortes de réflexions au fil du temps. Ça me passait par la tête d’écrire une histoire, mais je n’avais pas le courage de le faire parce que j’étais trop impressionnée par mes auteurs favoris”, mentionne Mylène Cinq-Mars. Elle a donc toute sa vie repoussé ce projet à plus tard. “J’ai lu la biographie de Franz Kafka et ça été le grand déclic. J’ai été fascinée par des extraits de son journal personnel, l’intensité de sa relation épistolaire avec deux femmes qu’il n’a pratiquement jamais vues.” Elle souligne d’ailleurs avec plaisir à quel point son œuvre et celle de Marie-Claude Bissonnette contiennent des similitudes. “Quand on se lisait, on s’envoyait des messages! C’était génial de se lire et de comparer nos styles d’écriture.”
Marie-Claude Bissonnette, de son côté, savait que l’écriture ferait un jour partie de sa vie. C’était comme un besoin de coucher sur papier son vécu. “Quand j’ai vécu le décès de mon amoureux, en 2019, je laissais planer cette idée. On me disait de plus en plus que je devrais mettre sur papier ce que je ressentais, mais surtout, j’avais peur d’oublier tout ce que je ressentais. Je me suis installée devant la maison, j’ai pris mon cellulaire et j’ai écrit 30 000 mots en dix-huit jours… avec mes pouces!”, lance-t-elle. “Je m’envoyais mes notes par courriel et ça a été très thérapeutique pour moi. J’ai écrit mon livre comme un grand poème.”

Se détacher de son oeuvre
À quel point est-ce que les deux œuvres sont calquées sur la vie de leur autrice respective? Cela m’intriguait parce qu’on y plonge dans l’intime, tout en y conservant certaines limites. On y découvre de la suggestivité, mais avec beaucoup de délicatesse et presque une certaine retenue. “Le premier chapitre que j’ai écrit – qui est finalement devenu le dernier de mon livre – je l’ai envoyé à ma mère. Elle m’a tout de suite appelée pour me demander si j’allais bien! (rires) Personne n’était au courant que j’allais écrire”, répond Marie-Claude Bissonnette. L’artiste lève le voile sur une partie de sa vie, mais se dévoile de manière romancée et poétique. Quant à Mylène Cinq-Mars, on y aborde des thèmes liés à la sensualité et à la sexualité de front. “J’ai dû faire une mise au point, à plusieurs reprises, par rapport à Séverine, mon personnage principal. Je me suis fragmentée à travers tous mes personnages. La psychologie de mon personnage féminin est assez particulière et j’ai dû préciser que c’est un personnage! Je reçois des messages en privé, sur les réseaux sociaux, qui s’adressent directement à Séverine”, dit-elle. Cette dernière mentionne que plusieurs réflexions du personnage féminin sont les siennes, bien que le tout demeure de la fiction.
Faire vivre une telle œuvre, lorsque la fiction est à ce point collée à la réalité, n’est parfois pas une mince affaire. “Ce livre est tout ce que je pense, ce que j’aime, c’est ma relation avec l’amour, avec mon ex-conjoint, ma jeunesse, ma vie avec mes deux filles, etc. Mon père m’a un jour demandé si j’étais à l’aise avec tout ça”, dit Marie-Claude Bissonnette. À la lecture, on sent pratiquement que l’on arrache 100 pages de son journal intime pour s’approprier un peu de ce moulin à images. “Mais oui, tout à fait. J’aborde les sujets de manière ludique, très visuelle, très sentie. Je raconte mon histoire, bien sûr, et c’est dans les commentaires des lecteurs que j’ai compris à quel point j’avais écrit quelque chose d’intime.” L’autrice mentionne également qu’elle fut touchée de constater à quel point son histoire parlait à tout le monde. “Le rythme et l’ordre des choses vont changer, mais la vie, c’est la même pour tout le monde”, conclut-elle. Cette rencontre arrive d’ailleurs au moment où le conjoint de Mylène commence un traitement de chimiothérapie.

Savoir où l’on va
Les deux bouquins nous laissent vers une ouverture, laissant espérer le lecteur de voir naître une nouvelle œuvre au cours des prochaines années. On ne veut pas que l’histoire se termine, autant celle de Marie qui nous touche au cœur que celle de Séverine qui nous fait chavirer entre tourments et remises en question. “J’ai commencé un nouveau roman”, ajoute Mylène Cinq-Mars. “J’en suis rendue à 33 000 mots, la moitié. Ça avance très bien. J’ai tellement donné de jus pour Muse, je suis surprise de constater à quel point l’inspiration revient rapidement. Je touche du bois!”
Marie-Claude Bissonnette est aussi en train d’imaginer la suite pour le personnage à qui elle a donné son prénom. Marie, tout simplement. “J’ai su, lorsque j’ai commencé à écrire un chapitre, que c’était mon dernier. J’ai écrit avec mon “feeling”, rien n’était calculé”, dit-elle. L’autrice veut imaginer le prochain de la même manière : sans limite et sans contrainte temporelle.
Le sentiment d’avoir terminé un livre est indescriptible, disent-elles. “Le récit de Muse est chronologique, mais j’ai rédigé les chapitres dans le désordre. Le dernier chapitre que j’ai écrit est “Proximité” , quand Marc écrit une lettre à Séverine où, ivre, il s’est inspiré de porno pour la peindre. Quand j’ai su que mon livre était terminé, je me suis mise à pleurer!”, souligne Mylène Cinq-Mars. De son côté, Marie-Claude s’est lancée dans une épreuve éreintante. “J’ai passé 18 jours dans une bulle créative complètement démente, j’ai ajouté quelques phrases ici et là, mais tout s’est passé dans un délai tellement intense et court”, alors qu’elle suivant un plan garni de “post-its” qui recouvraient l’un des murs de sa chambre. Cette dernière a d’ailleurs choisi d’imaginer ses derniers moments avec son conjoint à l’image des quatre saisons.

Tout est dans la routine
L’autrice Marie-Claude Bissonnette a choisi d’écrire son premier bouquin en reprenant la thématique des quatre saisons qui illustrent avec émotion son vécu. Pour arriver à ses fins, elle s’est imposé une discipline d’écriture quotidienne. Mylène Cinq-Mars s’est également donné comme mission d’écrire un minimum de 300 mots par jour. “Au début, j’écrivais de 10h à 13h et, le reste de ma journée, je faisais autre chose. J’y revenais souvent, je précisais mes idées, juste 2 à 3 heures sur une base quotidienne. Mais au fil des jours, la passion est embarquée et le rythme devient plus soutenu”, dit-elle. Et le point final s’est finalement présenté comme un grand sentiment d’accomplissement “Le 4 janvier, quand j’ai su qu’il était terminé, j’ai éclaté en sanglots. J’ai mis mon manteau, le soleil était éclatant et j’ai dit: “Papa, je l’ai fait” avec les yeux au ciel.”
Est-ce que le fait de terminer son livre est un peu comme un deuil? “C’est un lâcher prise complet. J’avais l’impression de m’être donnée au maximum. Il fallait que je parle de ma vie avec des thèmes, j’ai tout imagé, c’est très personnel”, souligne Marie-Claude Bissonnette, qui souhaitait pouvoir créer cet impact dans la tête et le cœur de ses lecteurs. Elle a d’ailleurs écrit l’entièreté de son livre en écoutant les mélodies de la pianiste Alexandra Stréliski. “J’ai tout écrit avec sa musique, ça me plongeait dans un monde où je pouvais écrire sans arrêt pendant des heures”, conclut-elle.
L’édition
Le chemin semble être le parcours du combattant pour l’autrice qui lance son premier ouvrage… et qui n’a pas d’abord été aperçue dans une téléréalité! Marie-Claude Bissonnette a tout de même vécu ces allers-retours avec le sourire. “J’ai eu des refus, j’ai eu de beaux mots, mais les lignes éditoriales des maisons d’édition ne concordent pas toujours avec mon style particulier ou la poésie. Il y a une maison d’édition qui m’a répondu en me disant qu’il faudrait que j’envoie mon manuscrit en France. Là-bas, en matière de littérature, il paraît qu’ils sont un peu plus avant-gardistes”, dit-elle. Son livre a été publié par la maison Les 3 Colonnes à Paris. Elle a tout simplement fait le choix de s’amuser dans ce processus laborieux. De son côté, Mylène Cinq-Mars a vécu essentiellement la même chose. “Quand on n’est pas connu et que c’est notre premier roman, ce n’est pas idéal, un véritable parcours du combattant. En édition traditionnelle, le premier roman d’une autrice inconnue qui ne provient pas du milieu est considéré comme un risque et l’édition demeure un business. Alors je comprends. Il y a tellement de livres qui se publient chaque année ”, ajoute-t-elle. “Je suis convaincue qu’il y a une foule de talents qu’on ne connaît pas!”, conclut-elle, souriante. Comme on dit, ce n’est pas la destination qui compte, mais le voyage.

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/ Un texte de Michaël Grégoire