Dans la continuité, la révolution

Face à face avec l’artiste Poirier
Sur la photo : Poirirer | Crédit : Bruno Destombes

Une discussion avec Ali Mafi

Les révolutions se font parfois sans que personne ne les remarque sur le coup. Elles prennent forme tranquillement, au fil de petits changements ici et là qui se mettent en place pour créer quelque chose de plus grand. À un moment donné, les choses ont changé. Il y a définitivement un “avant” et un “après”. Le paysage mental, l’organisation du réel et la façon dont la culture se déploie ne sont plus les mêmes.  

Avec son 12e album en 25 années de carrière, le musicien canadien Poirier précise encore plus sa vision et son art avec clarté. Quiet Revolution propose une ambiance intime et réconfortante où la musique électronique se fond avec la musique acoustique de manière intemporelle grâce à la délicate touche et aux arrangements de Poirier. Une sorte de renouvellement dans la constance car c’est le même état d’esprit qui l’avait guidé sur son précédent album Soft Power; véhiculer une émotion précise en évacuant ce qui est superflu. Pour décrire son nouvel album, disponible dès le 18 Octobre, Poirier confie que “c’est la musique des chemins qui se croisent”.

Une entrevue en quête de simplicité et d’émotion pure.

Sur la photo : Poirirer | Crédit : Bruno Destombes

Ton nom au Québec est synonyme de soirées endiablées, avec des événements comme l’Igloofest, le Piknic Electronik, Bounce le Gros, La Nuit Blanche ou Qualité de Luxe. Si tu as marqué les esprits avec tes sets énergiques, tu explores désormais des ambiances plus intimes, idéales pour une écoute paisible. Mais on peut toujours danser!

C’est définitivement les deux.
Ma carrière, c’est un mélange de phases. En ce moment, je suis dans une période plus posée.
Mais cet été j’ai enchainé les sets, notamment en première partie de Biga*Ranx et lors d’un long set à la SAT fait uniquement de mes titres allant de l’ambient à des choses très dansantes. Avec Quiet Revolution, je suis désormais dans un format plus « chanson », plus intimiste. C’est un peu comme si j’avais voulu créer un disque qu’on puisse écouter en famille, tout en gardant une touche électronique subtile.

Mais je vais me reprendre rapidement sur le côté dancefloor avec les remix!

Les musiques électroniques ont beaucoup évolué tout au long des 25ans de ta carrière. C’était inévitable que tu évolues dans ton rapport à la musique.

Les gens ont des lectures différentes de ma musique, et ils me découvrent souvent à travers un projet bien précis, sans forcément connaître l’ensemble de ma discographie. Et tant mieux!
En ce moment je fais de la musique hyper expérimentale pour de la danse contemporaine (la prochaine chorégraphie des Champs Magnétiques de Sylvain Émard) et des gens me connaissent seulement à travers ça.
Personne ne peut s’imaginer que je fais ce genre de musique s’ils ont seulement entendu mes chansons plus connues comme Café Com Leite ou Sowia. C’est cette diversité qui fait la richesse de mon parcours. Pour Quiet Revolution, j’avais le goût de sculpter des chansons, de faire un travail d’artisan.

Mais on sent tranquillement une nouvelle direction dans ta carrière depuis quelques années.

Le changement ne se fait pas du jour au lendemain. C’est en accumulant de petites modifications qu’on finit par orienter les gens à regarder dans une certaine direction. Ce n’est pas la destination finale qui compte, mais plutôt le chemin parcouru.

Avec mon album Boundary (2013), j’ai opéré un retour aux sources. C’était un projet expérimental qui renouait avec mes 2 premiers albums et qui était complétement en rupture avec l’album qui le précédait Running High, sorti en 2010 sur Ninja Tune, qui était un album électronique dansant, très dans ta face.

C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience de mes limites, mais aussi de mon potentiel créatif. J’ai appris à suivre mon instinct et à faire confiance à mon intuition.

Lorsque je crée un album, j’ai une direction générale, une vision de haut, une ambiance que je souhaite créer. Je laisse ensuite la musique me guider, en explorant différentes pistes. C’est comme regarder à travers la fenêtre d’un train : on choisit un angle de vue, mais on découvre le paysage au fur et à mesure.

Mes trois derniers albums « Migration », « Soft Power » et maintenant « Quiet Revolution » forment une sorte de trilogie dans laquelle j’ai affiné mon approche, notamment en multipliant les collaborations. Mon but est de créer une musique authentique, qui me ressemble et qui, j’espère, touchera les autres. C’est là que la magie s’opère!

Pochette de l’album ” Quiet Revolution “

L’échange est un concept central dans ta démarche artistique. Peux-tu nous expliquer pourquoi c’est un élément aussi fondamental pour toi?

Faire de la musique, c’est comme lancer une bouteille à la mer, avec l’espoir qu’elle rejoigne une rive et qu’elle résonne chez quelqu’un.

Début septembre j’ai joué La Bellevilloise, à Paris, où une jeune femme de 25 ans m’a confié qu’elle m’écoutait depuis ses 15 ans. Elle m’a expliqué comment ma musique l’avait accompagné pendant toutes ces années. Et pendant mon set, j’ai joué des morceaux plus confidentiels, des pièces que je ne joue pas souvent. Et j’ai vu qu’elle les connaissait, et presque me défiait de la surprendre. Pendant toutes ces années, on avait dialogué à travers ma musique, sans jamais se rencontrer. Et à cet instant, le cercle se refermait. C’est ça, la magie de l’art : créer des connexions inattendues.  

Lors de mes sets, j’essaie toujours de créer un lien personnel avec le public. J’aime être disponible et abordable et je reste dans la salle après mon set. Je me souviens du set de cet été à la SAT, où j’ai rencontré une personne qui m’a parlé de l’importance d’une de mes chansons sur mon album Breakupdown (2005) il y a presque 20ans! Ces moments-là sont vraiment précieux, ils me rappellent pourquoi je fais de la musique : pour partager des émotions, des points de vue, instaurer un dialogue, créer un lien. Cela confirme ce que je pense depuis longtemps, il faut donner de l’importance à son DJ set, il faut s’appliquer. C’est un dialogue, un échange mutuel. Pendant qu’eux vivent un bon moment, je le ressens et je suis aux anges. Il faut respecter les gens qui sortent nous voir en DJ set. C’est pourquoi j’apprécie énormément le travail de Denis Villeneuve. Il ne prend jamais son public pour des cons et il renoue avec une tradition perdue dans le cinéma américain. Si tu regardes sa carrière, tu vois que c’est une trajectoire réfléchie, appliquée, il fait les choses bien, il a réussi le cross over impossible à faire des films des beaux films à grand déploiements qui coutent fucking cher, mais aussi qui rejoignent le grand public.
J’aime beaucoup Denis Villeneuve – et en plus il est québécois.

Sur la photo : Poirirer | Crédit : Bruno Destombes

Justement, ta musique. Elle est québécoise finalement?

Quand on parle de musique québécoise on ne pense pas à mettre mon disque en haut de la pile mais pour moi, c’est un disque profondément québécois avec un point de vue québécois sur ici et sur le monde. Et j’y crois profondément. C’est un disque Montréalais, j’ai cette prétention que ce disque peut rejoindre beaucoup de gens. La musique québécoise, ce n’est pas seulement une question de langue.

Je me rends compte qu’on réduit souvent la musique québécoise à ses paroles, à des aspects très explicites. Mais la musique, c’est bien plus que ça. Ce sont des émotions qui dépassent les frontières linguistiques. J’ai fait 12 albums, ce sont 12 albums de musique québécoise esti! Je n’ai pas besoin de mettre le fleurdelisé pour affirmer que c’est un album de musique québécoise. Et c’est là la révolution tranquille de l’album, et voici ma vision.

Ton album se termine sur le titre « El Tiempo Pasa » (le temps passe). On y entend la voix d’un homme qui recite un passage du magnifique poème de Antonio Machado « Cantares ».

Cette toune, c’est aussi un peu comme un point de départ pour un nouveau cycle.
Elle respire la nostalgie, mais il se dégage quelque chose de très joyeux aussi et qui offre de nouvelles perspectives. C’est l’expérience universelle du temps qui passe, de la quête de soi, de l’invitation à évoluer tout en restant fidèle à soi-même.  Je veux continuer à partager mes émotions, à continuer à dialoguer entre plein de genres musicaux, plein de codes musicaux, plein de générations, et aussi moi-même. C’est une invitation à se perdre et à se retrouver dans la musique, mais c’est avant tout une histoire de partage.

Précédent
La folie de Jonny Arsenault

La folie de Jonny Arsenault

Une belle découverte!

Suivant
Wizaard frappe encore!

Wizaard frappe encore!

Un nouvel album « groovy » pour ton dimanche soir

Vous pourriez aimer…