Un entretien avec Michaël Grégoire
On le considère comme l’ingrédient secret derrière le succès du duo folk-pop 2Frères. L’auteur-compositeur cumule de très nombreux succès radio au compteur. On l’a d’abord remarqué avec ses deux premiers albums solos. Son talent a d’ailleurs été mis à profit pour des artistes de renom tels Roch Voisine, Mario Pelchat, Paul Daraîche, Isabelle Boulay ou Ginette Reno, pour ne nommer que ceux-là. Plus récemment, on l’a vu se rapprocher du groupe Steven & Steeven pour lequel il agit à titre de directeur artistique, en plus de plancher sur une comédie musicale dont la première est prévue en 2025. Gaspésien d’origine, il se nomme Steve Marin et a décidément des projets plein la tête.
Personnellement, j’ai connu Steve Marin il y a déjà quelques années, alors que j’écoutais ses deux premiers albums. Au fil de nos conversations, je lui ai souvent demandé s’il comptait revenir sur scène ou sur disque à titre d’auteur-compositeur-interprète. Je ne pouvais pas lancer cette conversation sans aborder le sujet. A-t-il choisi que sa carrière “personnelle” d’interprète était terminée? “Non, ce n’est pas terminé. Ça fait des années que je me dis que je vais faire quelque chose avec les chansons, les thèmes et les idées que j’ai dans mes tiroirs. Je n’ai pas poursuivi parce que je suis embarqué dans d’autres projets pour d’autres artistes”, mentionne-t-il. “La promotion de moi-même, ce n’est pas naturel pour moi. Je n’ai pas trouvé le moyen de ne pas y penser et ça ne me rend pas confortable. J’ai choisi d’être plus créatif dans l’ombre. Est-ce que c’est possible de faire de la musique sans ressentir la nécessité de se promouvoir? Je pense que oui”, ajoute Steve Marin.
Puisqu’il m’avait ouvert la porte, je me suis permis d’en apprendre davantage. Est-ce que ce serait avec un album complet? “Je ne sais pas, mais lancer un album, tu dois engager beaucoup de monde, c’est un très gros effort et tu dois en parler. Je pense que ce serait le temps pour 2024, mais peut-être pour quelques chansons. J’y réfléchis”, dit-il. Steve Marin ajoute que, depuis les dernières années, sa voix s’est surtout retrouvée sur les maquettes des artistes pour lesquels il a écrit. Ce dernier a-t-il conservé des chansons, à lui et pour lui, qu’il n’offrirait à personne d’autre? “Je ne me dis pas “cette chanson est vraiment bonne donc je ne veux pas la donner”. Je me dis plutôt que la chanson que je suis en train d’écrire correspond à ce que j’aurais à dire et non à l’artiste pour qui j’écris”, ajoute-t-il. Pourrait-on donc retrouver, au cours des prochains mois, de nouvelles chansons originales de l’artiste? “À une certaine époque, c’était un non-sens pour moi de me dire que j’allais sortir des chansons sans faire de spectacle. Aujourd’hui, je trouve que le phénomène a changé. Tu peux produire de la musique sans avoir à la présenter sur scène. Ça fait donc plus de sens pour moi, dans le processus”, mentionne Steve Marin. Un retour en musique, tout en restant dans l’ombre, semble le scénario idéal pour celui dont le nom n’est plus à faire en radios. “Après mon deuxième album, j’ai eu des propositions d’écrire pour d’autres artistes. Je te dirais que c’est venu naturellement. Je te dirais même que le troisième album que je devais faire avec mon producteur, je l’ai donné à ma blonde de l’époque! (rires) Après ça, le producteur est parti et je n’ai jamais eu d’album!”
Une première chanson au bon moment
C’est Isabelle Boulay qui aura provoqué un changement majeur dans la carrière de Steve Marin : celle-ci lui propose d’écrire pour elle. L’œuvre qui a suivi, « Chanson pour les mois d’hiver », est également devenue le titre de l’album. “C’est arrivé hyper rapidement. Isabelle avait acheté mon album “Mélodica” chez Archambault et il est devenu son “album de l’été”. Elle ne me connaissait pas et s’était mise à m’écouter dans sa voiture tout l’été. Elle a pris contact avec Pierre Marchand chez Musicor et lui a demandé si je pouvais écrire pour son prochain album. Je l’ai rencontrée, je lui ai apporté des mélodies. Nous savions déjà que ce serait un album de reprises et qu’il se nommerait “Chansons pour les mois d’hiver”, mais la seule chanson originale de l’album n’avait pas encore été écrite”. Steve Marin s’est immédiatement remis à composer et, très vite, il fait naître une mélodie et un texte sur cette thématique. “Quand ils m’ont appelé le dimanche, l’équipe m’a demandé d’écrire la chanson au complet. Je lui ai envoyé le lendemain en formule “guitare-voix” et elle m’a téléphoné tout de suite pour me confirmer qu’elle avait retenu ma chanson”, dit-il. C’est aussi à ce moment que sa carrière d’auteur-compositeur a pris un autre virage. “La carrière d’interprète a pris une pause et je t’avoue que je trouvais ça relaxant. Je n’avais plus besoin de répondre aux exigences que l’on impose à un artiste sur l’avant-scène et j’aimais ça”, dit-il.
À quel moment as-tu compris que c’est ce que tu allais faire dans la vie? “Honnêtement, je n’ai jamais eu de plan à long terme. On s’imagine tous des choses, on se dit que l’on se voit là ou là à une certaine époque, mais quand j’ai commencé à faire de la musique, je me voyais vivre de la musique dès que j’ai eu une première guitare. Mais quand je me suis mis à écrire, je ne savais pas que j’allais finir par réaliser, faire de la direction artistique, etc. Quand on me proposait un projet d’écriture pour un artiste, j’acceptais et ça m’amenait sur des nouveaux projets”, raconte Steve Marin. Justement, à ce sujet, comment peut-on décrire la “signature” de Steve Marin? “Au Québec, je pense qu’on vient me voir sur le plan de la mélodie. Parce que j’ai eu de bons succès à la radio, je pense que les gens viennent me voir pour avoir une “bonne” chanson, dans le sens où elle aura plus de chances de jouer à la radio. Tu sais, pour moi, une chanson n’est pas seulement l’œuvre ou son interprète, mais tout ce qui entoure cet interprète et ce qui est proposé comme univers pour viser un public le plus précis possible. C’est comme ça que je m’interroge à savoir si je peux (ou non) cadrer dans le projet que l’on me propose. Mais pour répondre à ta question, je dirais que les gens viennent me voir pour écrire des chansons populaires”, dit-il. Steve Marin est abonné au succès depuis qu’il enchaîne les chansons en radios pour 2Frères et bien d’autres interprètes de la francophonie.
La reconnaissance du métier
L’auteur-compositeur en est maintenant à son 15e numéro 1 en carrière. À ses yeux, quelle est la place de l’auteur et du compositeur aujourd’hui? “Je pense qu’on ne pourra jamais remplacer le contact humain… jusqu’à ce qu’on le remplace! (rires) Je ne pense pas que la place des auteurs et des compositeurs a changé ou a évolué avec les années. Ce n’est pas un rôle particulier respecté au Québec, si l’on se compare à la place qu’on leur offre aux États-Unis ou ailleurs. Ici, les auteurs et compositeurs, on ne les connaît pas. Puisque la promotion de moi-même, ça n’a jamais été mon fort… cette réalité me convient!”, lance-t-il.
On poursuit la discussion sur les reconnaissances que l’on attribue, ici, aux auteurs et aux compositeurs. “La SOCAN est là pour reconnaître les auteurs et les compositeurs, du moins c’est ce que l’ADISQ nous dit. Mais dans les dix chansons de l’année à l’ADISQ, je pense que d’écrire simplement le nom de l’auteur et du compositeur en dessous du nom de l’interprète, ce n’est pas assez. Je ne peux pas l’accepter. Il y a un prix pour le graphiste qui a fait la pochette de disque de l’année, mais on n’a rien à offrir à l’auteur, au compositeur ou à l’auteur-compositeur de la chanson de l’année. Le Félix auteur-compositeur existe à l’ADISQ, mais on sait qu’il a toujours été donné à des auteurs-compositeurs-interprètes”, ajoute-t-il, soulignant des personnalités telles Luc Plamondon, qui se sont déjà levées pour faire avancer les choses et que, sans eux, les auteurs et les compositeurs auraient encore moins d’espace pour être entendus. “J’ai l’impression que la culture de l’interprète est plus importante ici au Québec. Comme artiste, j’ai goûté à ça, donc je n’ai aucune frustration à ce niveau. Cela dit, je ne comprends pas que l’on ne reconnaisse pas encore les auteurs et les compositeurs à l’ADISQ comme ils se devraient d’être reconnus”, dit-il. Steve Marin souligne que derrière l’interprétation, il y a une chanson. Puis, derrière l’interprète, il y a des auteurs et des compositeurs. Plus que ça, il y a d’abord un auteur et un compositeur qui a pensé à offrir une chanson “sur mesure” pour un interprète afin qu’il puisse complètement s’approprier une chanson. Ce dernier souligne le talent des Amélie Larocque et des Nelson Minville dont les œuvres sont magnifiques, sans pour autant que ceux-ci puissent avoir la reconnaissance du public qu’ils mériteraient.
Dans les premières entrevues “face à face” réalisées avec des acteurs de l’industrie, le réalisateur Connor Seidel s’était exprimé sur le fait qu’un réalisateur devrait obtenir des parts d’une bande maîtresse. Pour lui, cela se fait partout dans le monde, mais c’est encore un combat au Québec. “Je le comprends et je suis totalement d’avis que les auteurs et les compositeurs devraient obtenir la même chose. J’ai pu arriver dans un studio, gratter une chanson et ce sera le réalisateur qui en fera une magnifique chanson. Et à cet instant, l’interprète va dire “wow, je la veux sur mon album” parce qu’il n’aurait jamais pensé que cette chanson deviendrait un succès. Aujourd’hui, on n’a plus les budgets qu’on avait et les réalisateurs ne sont donc pas payés une fortune”, dit-il. Pour lui, le réalisateur a une responsabilité immense et sera souvent celui qui aura tous les rôles dans l’enregistrement d’un album. D’un autre côté, il souligne que les auteurs et les compositeurs sont à la source de la création. “Au-delà de leur place dans les parts de bandes maîtresses, ils devraient bénéficier de subventions nettement plus grandes pour leur travail. Ça existe déjà chez MusicAction, mais écrire une chanson, ça prend du temps à écrire! Qu’est-ce que l’auteur-compositeur reçoit pour cette chanson qui ne lui appartiendra plus? Pas grand chose”, déplore Steve Marin. “L’idée est de garder nos auteurs et nos compositeurs qui ne sont pas nécessairement des “hit makers”, mais sur un album, on en a aussi besoin! Je parle pour tous les auteurs et les compositeurs qui n’ont pas nécessairement l’envie ou la capacité de se montrer sur scène, mais qui ont un très grand talent. Si on ne les paie pas, on va perdre les meilleurs qui n’arrivent pas à vivre de ce métier.”
