Vivre et faire vivre sa passion

Face à face avec Marie-Pier Létourneau

L’univers des relations de presse a drastiquement changé au cours des dernières années. Le milieu culturel fait face à cette nouvelle réalité et n’a d’autre choix que de s’y adapter. Nous sommes allés à la rencontre de Marie-Pier Létourneau, relationniste de presse et présidente de la boîte De La Létourneau pour discuter de son parcours, de ses motivations à évoluer dans cette industrie et des constats que l’on peut tirer du monde des médias.

Un parcours scolaire pas facile 

La musique a toujours fait partie de celle qui est originaire de la Gaspésie, mais qui a grandi à Sherbrooke. “Dans ma cohorte au Cégep, il y avait les Valaire, Fanny Bloom, le journaliste Dominic Tardif. Il devait y avoir de quoi dans l’eau à Sherbrooke!”, lance-t-elle. À cette époque -et encore aujourd’hui- elle adore le sport et se décrit comme une fille d’équipe. C’est dans un festival qu’elle a compris ce qu’elle voulait faire de sa vie. Ainsi, c’est en festival qu’on la retrouve de juin à septembre! “J’ai commencé en radio au Cégep et j’ai détesté ça. C’était horrible”, ajoute Marie-Pier Létourneau. On lui parle finalement du rôle d’attachée de presse, le lien entre le média et l’artiste. Cela crée une étincelle dans son esprit : et si c’était l’avenue idéale pour elle?

Je n’ai jamais aimé l’école. Pas dans le fond, mais dans la forme. Le cadre scolaire proposé ne me convenait pas du tout. Je m’accrochait aux amitiés, aux sports, mais la salle de classe, c’était un calvaire. Le fait de m’asseoir quelque part et d’écouter passivement, ça ne fonctionnait pas pour moi. Ça ne fonctionne toujours pas aujourd’hui. Je prends encore des récrés pour aller jouer dehors à 38 ans. Autant j’ai pu détester le son d’une cloche de cours, autant j’ai pu aimer le son des espadrilles sur un plancher de gymnase”, dit-elle. Marie-Pier Létourneau tente finalement d’être acceptée en ATM à Jonquière, en journalisme à l’UQÀM, en relations publiques… sans succès. C’est finalement l’Université de Montréal qui lui ouvrira les portes du programme de communications publiques, mais elle réalise vite que ce qu’on y apprend reste très loin du milieu culturel dans lequel elle rêve d’évoluer. “Je me souviens avoir appelé mes parents pour leur dire que l’université n’était probablement pas faite pour moi. Ma mère m’a poussée à essayer à nouveau, en “animation et recherches culturelles” à l’UQÀM. Et là, j’ai été acceptée.

Ses premiers pas professionnels

C’est d’abord au sein du label Indica Records que Marie-Pier Létourneau fait ses premiers pas professionnels. On l’accueille en stage où elle côtoie quotidiennement les Grimskunk, Vulgaires Machins, Les Trois Accords et Xavier Caféine qui figurent à l’époque parmi ses artistes préférés. “C’était les grandes années de la boîte”, dit-elle. Et des spectacles, elle en dévore! “Quand j’étais à l’université, j’en ai passé des “flyers” de promotion pour aller voir des spectacles gratuitement! L’agence Preste avait juste à m’appeler, je distribuais des “flyers” pour leurs spectacles et j’allais voir plein de shows!

À la fin de son stage -400 heures et non rémunérées!- chez Indica, on lui offre un poste en relations de presse. Elle ne terminera pas sa dernière session universitaire.  Elle débute avec la prise en charge des “petits” projets du label… pour finalement y rester pendant huit ans. Soucieuse de bien faire les choses, elle termine sa dernière session avant de prendre une sabbatique solo en Asie en 2011, car les voyages d’aventures font aussi partie de ses grandes passions. “À cette époque, je ne vivais que pour les voyages et la musique. À quand le prochain concert, à quand le prochain vol? Idéalement le volume le plus fort possible et le pays le plus loin. Intense”, souligne celle qui se plaît à rêver à de nouveaux espaces à découvrir.

Un saut en entrepreneuriat

C’est à la suite de sa rencontre professionnelle avec Stéphane Campbell et Isabelle Ouimet qu’ils fondent La Royale Électrique, une boîte de relations de presse. “C’était une petite boîte, mais on avait de beaux projets dont Alex Nevsky, Karim Ouellet et j’avais emmené le catalogue d’Indica”, dit-elle. La réalité du monde des affaires la rattrape vite et elle apprend à la dure. “J’étais jeune. Lancer une entreprise à deux ou trois, je n’étais pas outillée pour faire ça. Il y avait plein d’aspects administratifs que je ne maîtrisais pas.

Quelques mois plus tard, ce sera finalement un poste aux communications chez Spectra qui s’ouvrira. Sonia Cesaratto, à ce moment directrice des communications, venait de quitter. “Sonia est une attachée de presse sur qui je trippais! Je lui ai souvent dit que j’aimerais être son attachée de presse en régions et travailler avec elle. Finalement c’est son poste que j’ai eu. J’avais 26 ou 27 ans je pense”, souligne Marie-Pier Létourneau. Dans la boîte sont notamment signés Michel Richard, Vincent Vallières et Patrice Michaud. Elle s’y fait de bons amis et de précieuses relations professionnelles, mais le cadre rigide de la grande entreprise ne lui convient pas. “Je ne le savais pas, mais j’étais une entrepreneure en devenir!

Alors qu’elle fait le choix de retourner chez Indica, le label qui l’avait vue s’épanouir pendant plusieurs années, Marie-Pier se questionne sur son avenir. Elle vient également de découvrir le rôle le plus important de sa vie : devenir maman. Pendant son congé de maternité, l’artiste et son ami de longue date Vincent Vallières lui mentionne qu’il cherche quelqu’un pour l’aider avec ses demandes diverses, les réseaux sociaux, un peu de relations de presse, la gestion des demandes entrantes, etc. Il venait de lancer “Le temps des vivants”, son nouvel album. “Je faisais un peu de tout! Je faisais ça d’où je voulais et quand je voulais”, se souvient-elle. “Pendant ce temps, des groupes de musique venaient me voir en me disant “Es-tu partie à ton compte? Acceptes-tu des projets? Half Moon Run et d’autres groupes ont suivi. J’ai l’impression que ce fut pour moi une courbe parfaite. Mon entreprise a grandi en même temps que ma fille.

De La Létourneau

Nous sommes en 2017. Marie-Pier Létourneau se lance dans ce qui deviendra le plus grand projet de sa carrière, démarrer sa propre entreprise. “Si je n’avais pas eu ma fille, je suis persuadée que je n’aurais pas la carrière que j’ai en ce moment. Je ne sais pas si je serais à Montréal ou dans une cabane au Cambodge pour faire de la plongée et manger des mangues. J’aurais continué à profiter de tout en même temps sans m’investir à 150 % dans quelque chose. Je suis une personne extrêmement intense à l’esprit libre. Grâce à ma fille, je n’ai pas eu le choix de me calmer et de me focaliser!”, débute-t-elle. De fil en aiguille, l’attachée de presse s’est retrouvée à travailler sur tous les projets avec lesquels elle avait vraiment envie de travailler. En d’autres termes, on pourrait faire un “mix” Spotify des chansons de ses clients et on écouterait alors sa playlist idéale! “J’ai la chance de travailler seulement avec des artistes que j’aime, avec qui je trippe et qui sont respectueux. Ça arrive très très peu souvent, mais quand je sens qu’il y a un mauvais “fit”, j’arrête ça. On travaille en divertissement, c’est sérieux, mais faut que ça reste agréable. On ne nourrit pas une passion de bad vibes.. ”, conclut-elle.

Et le métier, quant à lui, a drastiquement changé depuis les dernières années. “Quand j’ai commencé, le journal Voir -format papier- était une Sainte Bible. Sinon, il y avait le magazine Nightlife, le BangBang, etc. On avait la possibilité d’être sur une page couverture. On avait beaucoup de publications cool en format papier, ce qui n’existe plus”, mentionne-t-elle avec un brin d’amertume. Elle souligne qu’il n’existe pas au Québec d’équivalent web de ces médias tels la marque Konbini en France. Que manque-t-il, alors, dans le paysage médiatique québécois? “Je parle d’un média “taste maker”, qui a une forte identité, auquel les gens s’attachent, il n’y en a pas. Je comprends que ça coûte cher, mais les gens qui consommaient le Voir ou le Nightlife ne se sont pas nécessairement tournés vers La Presse. L’offre éditoriale n’est pas la même.

La découvrabilité… des médias

On a un autre grand problème : nos médias ne sont plus accessibles sur les médias sociaux. C’est tellement grave! Je ne comprends pas qu’on ne soit pas en train de se lever plus que ça contre ce qui se passe”, lance-t-elle. En effet, depuis l’adoption du projet de loi C-18, la réplique de Facebook et Instagram ne s’est pas fait attendre. Les publications provenant de médias canadiens ne sont désormais plus accessibles sur leurs plateformes. “Les habitudes de consommation des médias ont évolué, surtout chez les jeunes. C’est dangereux pour notre culture car c’est à cette génération qu’il faut passer le flambeau et les médias québécois n’ont pas champ libre sur le web”, dit-elle.  La situation ne semble d’ailleurs pas sur le point de se régler. “Le documentaire “Alphas” de Guillaume L’Espérance qui a tant fait jaser, tout ce bruit s’est passé sur Internet. Qu’on soit pour ou contre, la bande-annonce a été vue plus d’un million de fois, c’est un buzz qui s’est passé sur le web. On est encore capables de créer des phénomènes et de larges prises de position. Les phénomènes sont maintenant créés sur les réseaux sociaux, mais les médias n’ont plus accès à ça. Ça ne fait aucun sens!

C’est un fait qu’il n’y a jamais eu autant de nouveaux projets lancés et aussi peu de médias pour les faire rayonner. Autre point intéressant : un artiste peut pratiquement, par lui-même, contacter un média pour avoir une couverture de presse. Il n’est plus nécessaire de passer par un label pour avoir cette exposition publique. “Aujourd’hui, même si tu fais de l’excellent travail en tant qu’attachée de presse, il y a tellement de nouveaux contenus qui arrivent sur le bureau des journalistes que de te faire voir est de plus en plus difficile”, ajoute Marie-Pier Létourneau. Elle souligne que les grands médias traditionnels tels que La Presse, Le Devoir et ICI Première, ICI Télé, Télé Québec demeurent des incontournables pour les artistes avec lesquels elle travaille. “Et surtout, ils veulent jouer leur musique quelque part! Quand un band va à Jimmy Fallon aux États-Unis, on le sait! On a Plaza Plaisir et Bell & Bum ici qui font place aux talents sans compromis de medley ou reprise. C’est tout. Ça en prendrait d’autres, il faut s’en faire une mission afin de préserver notre culture.  Ce serait l’fun que Tout le monde en parle joue de la musique chaque semaine, par exemple”, dit-elle. Malgré tout, elle garde le focus et le sourire pour ses artistes qui, eux, rayonnent énormément. “Ça va bien pour mes artistes! J’aime mes artistes et je te dirais que c’est rare que je sois déçue du résultat que j’obtiens dans les médias. Mes artistes remplissent les salles. C’est moins glorieux qu’avant en termes de retombées dans les médias, mais les journalistes et les recherchistes avec lesquels je travaille, ça fait des années qu’on se connaît”, conclut-elle.

L’avenir de la boîte

Celle qui travaille depuis le tout début avec Half Moon Run s’est posé la question : la croissance ou pas? “Si je vis de la croissance, je n’aurai pas le choix de prendre des projets qui me rejoignent moins. En ce moment, je travaille avec des pigistes en rédaction et j’engage au besoin pour certaines tâches sur des projets précis, mais je veux que la boîte reste exactement comme elle est pour pouvoir offrir le meilleur service à mes artistes”, dit-elle. Marie-Pier Létourneau souhaite que chaque projet reste un coup de cœur et tient à conserver une place toute spéciale à sa période favorite de l’année : celle des festivals.

Si le milieu des relations de presse a changé, est-ce qu’il existe une nouvelle manière d’approcher les attachés de presse pour un artiste qui souhaite se faire entendre? “Ça arrive une fois sur trois que les artistes m’envoient un courriel pour me parler de leur projet sans m’envoyer la musique qui vient avec!”, dit-elle en riant. “Avant de contacter un RP, il faut déjà qu’il y ait de l’attraction autour du projet. J’invite les artistes à se créer un profil en ligne et à développer leur réseau pour qu’il y ait un historique quand ils viennent voir un professionnel en relations de presse.

Son meilleur coup de l’année? Sans aucun doute, Aliocha. Ses spectacles affichent “complet” et on lui a décerné quatre nominations au Gala de l’ADISQ. “On avait les bonnes personnes autour de nous et tout était là”, dit-elle. “L’extrait “Ensemble” peut être interprété de plein de manières. C’est le genre de chanson qui traverse le temps parce que les gens s’y accrochent. Ça dépasse le journal intime de l’artiste.

Marie-Pier Létourneau est une professionnelle de passion et de cœur. On sent qu’elle pourrait parler de son métier pendant des heures, alors que la conversation s’achève. Où peut-on la trouver lors des spectacles de ses artistes? “Backstage!” Un petit rêve qu’elle chérit? “Amener des gens en arrière scène pour leur faire vivre un spectacle sous un autre angle, c’est génial pour moi. Faire des projets avec les jeunes dans certaines écoles ou dans les centres jeunesse. Créer un pont entre les jeunes et les artistes qu’ils aiment. Bref, créer un peu de magie à ma manière”, conclut-elle. Vivre et faire vivre sa passion, voilà son mantra. Gageons que la prochaine année lui réservera encore de belles surprises… 

Découvrez l’agence De La Létourneau en cliquant ici.

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