Un entretien avec Michaël Grégoire
Nous sommes le 30 avril, il est 14h, sous le soleil cuisant de New York, aux abords du quartier Chelsea et à quelques rues de Greenwich Village. Un pôle vivant, dynamique où il semble faire bon vivre, dans une ville qui ne dort jamais. C’est là que prend racine le premier bureau aux États-Unis de l’entreprise Groover, une plateforme ayant pour mission de mettre en relation les artistes et les curateurs de contenu, les professionnels de l’industrie artistique, les agents, les maisons de disques, des blogueurs, des journalistes, etc.Romain Palmieri, cofondateur et associé, a choisi de quitter le siège social et de venir s’installer aux États-Unis.
Je suis toujours impressionné par les entrepreneurs culturels. D’abord parce que le chemin est souvent bien plus complexe que pour certains, dans la mesure où la musique peut être perçue comme un risque par des investisseurs, en raison de sa volatilité ou de son aspect intangible. Pourtant, Groover vient de lever un nouveau financement de 8 millions de dollars (US) grâce à l’appui de partenaires majeurs tels que OneRagtime, Trind Ventures, Techmind, Mozza Angels et du soutien de leurs partenaires de la première heure Partech, Bpifrance, Verve Ventures et Frenchfounders. Le communiqué de presse dévoilé en février dernier mentionne qu’avec ce nouveau financement, Groover pourra élargir son offre en introduisant des services supplémentaires tels que la promotion, le marketing, le coaching et le soutien au développement de carrière. Leur objectif : équiper les artistes indépendants des outils dont ils ont besoin pour réussir, tout en renforçant leur présence stratégique en Amérique du Nord, en Europe et en Amérique latine. La plateforme fondée en 2019 par Romain Palmieri, Dorian Perron et Rafaël Cohen a le vent dans les voiles.
On se donne rendez-vous dans les locaux new-yorkais de FrenchFounders. Le lieu est chaleureux, l’ambiance est décontractée, on y sent que des idées y naissent et évoluent. Romain nous accueille, un café à la main.
La petite histoire
Cette plateforme initialement lancée en France propose aux artistes de faire la promotion de leur musique en leur assurant des retours concrets et constructifs de la part de professionnels de milieu. Aujourd’hui, elle regroupe plus de 350 000 artistes indépendants répartis dans 180 pays et cumule plus de 4 millions de “retours personnalisés” de la part des professionnels de l’industrie musicale. Voilà des chiffres qui donnent le vertige, mais qui ne font que motiver Romain Palmieri à se développer encore davantage dans le plus grand marché de la musique au monde : les États-Unis.
“Nous étions en fin d’études en Californie et nous avions tous un lien assez fort avec la musique. Dorian avait un média, une chaîne YouTube pour aider les artistes indépendants à se faire connaître. Rafaël accompagnait plusieurs artistes dans leur DA et était très intégré dans la communauté artistique à Paris. De mon côté, j’avais créé un label indépendant et j’étais moi-même musicien dans le pop-rock indépendant. J’avais donc plein de liens personnels avec la mission de Groover”, mentionne Romain Palmieri. À cette époque, et cette vision n’a pas changé depuis, les cofondateurs souhaitaient apporter une touche “technologique” nouvelle pour aider les artistes indépendants à se faire connaître en France et dans le monde entier. C’est là où le travail a commencé. “Nous avons commencé par contacter 200 artistes et professionnels de l’industrie afin de comprendre ce qui pourrait avoir de la valeur pour eux. Notre constat : ça n’a jamais été aussi simple de faire de la musique aujourd’hui, c’est très simple de distribuer de la musique, mais 120 000 morceaux sortent aujourd’hui sur les plateformes de streaming tous les jours. Donc, comment est-ce que je me fais connaître, et il n’existait pas de solution pour répondre à ce besoin”, ajoute-t-il.
La promotion des artistes
Romain Palmieri explique que la promotion d’un artiste peut être tout un parcours du combattant puisque les possibilités à travers le monde de se faire connaître et le nombre de professionnels de l’industrie à contacter sont gigantesques. “Avant l’arrivée de Groover, les artistes avaient deux façons de se faire connaître : engager un agent de promotion ou un gérant, ce qui est très coûteux sans nécessairement avoir de retours positifs. La deuxième option était de le faire par eux-mêmes et c’est très difficile et ça demande une énorme énergie. Ainsi, avec Groover, on te permet de contacter tous ces professionnels de l’industrie et s’il y a un coup de cœur de leur côté, ils peuvent entrer en contact avec l’artiste de manière simplifiée. On répond donc aux deux problèmes de fond, soit la promotion et la curation.” Ce dernier mentionne que la vision de départ, pour lui, était de rester près des utilisateurs “pro” et des artistes. “Le “business model” de Groover est, en tant qu’artiste, de pouvoir faire une campagne de promotion de façon abordable. Le prix de base pour contacter un professionnel de l’industrie est de 2 euros. Si ce dernier ne répond pas, l’artiste est crédité de ce montant. L’artiste peut donc cibler 100, 200 ou 300 curateurs pour avoir des retours. Nous avons aujourd’hui 3 000 curateurs sur la plateforme.”, dit-il, un café à la main, sans doute attrapé dans l’un de ses cafés typiques de coin de rue qui font rêver tellement le décor nous rappelle quelques scènes de films. “On verse la moitié des sommes qui sont dépensées sur Groover directement à nos curateurs. Parce que les professionnels aussi cherchent à monétiser cette mise en relation. Grâce à Groover, les curateurs sont rémunérés par rapport à la qualité de leurs commentaires et non pas sur le partage de la musique. Ce n’est pas strictement du “contenu sponsorisé” puisqu’on valorise la mise en relation et la qualité des retours de l’industrie.” Le modèle d’affaires devient donc intéressant à la fois pour les artistes, mais peut également motiver les professionnels de l’industrie à y revenir souvent.
Leur raison d’être
Romain Palmieri parle de Groover avec une passion évidente. Musicien dans l’âme, il souhaite que l’approche de la plateforme reste collée sur les besoins réels (et changeants) des utilisateurs. “Ce qu’on veut est de montrer que la plateforme permet de casser des barrières. Tant mieux si les relations professionnelles se poursuivent à l’extérieur de la plateforme. De notre côté, nous savons que le problème de base est l’envoi des courriels : un professionnel peut recevoir plusieurs centaines de courriels et de propositions par jour. C’est pour ça qu’on a des artistes qui reviennent sur Groover, tout simplement parce que c’est plus simple de poursuivre avec les relations qui perdurent sur Groover”, dit-il. Pour l’entrepreneur, permettre à un artiste de sortir de la plateforme et de poursuivre les échanges avec un professionnel par courriel ou par messagerie instantanée n’est pas un enjeu. Pour lui, la mission est accomplie si l’artiste y a trouvé son compte. Il gardera en tête cette expérience et reviendra sur la plateforme. Mais alors, quand la “guerre” fait rage quant aux modèles de redevances de Spotify ou encore entre les maisons de disques et les plateformes comme TikTok, est-ce que Groover est le “good cop” de cette histoire? “Je pense que chaque acteur a un rôle à jouer dans l’industrie. Spotify a changé l’industrie musicale, une industrie qui n’arrivait plus à monétiser son contenu. Spotify a apporté une solution au piratage et parce que les gens voulaient écouter de la musique facilement, partout. Même un artiste à une échelle individuelle doit comprendre que s’il veut en vivre, il doit être écouté”, mentionne-t-il en faisant référence à la plateforme de Daniel Ek. “C’est là où Groover arrive en jeu. Nous avons des partenariats avec de nombreux distributeurs et, selon moi, je crois que les artistes doivent être partout (Spotify, Apple Music, Youtube, Soundcloud, Instagram, Tiktok etc.). C’est notre slogan : Get your music heard.”
Est-ce que Romain Palmieri et ses associés ont vécu un jour cette croissance comme une grande vague difficile à surmonter? Est-ce qu’ils ont un jour senti que la plateforme devenait plus grande qu’eux-mêmes et, par conséquent, ont ressenti quelques vertiges? “Je pense qu’on a toujours eu une démarche de faire connaître notre plateforme à un maximum d’artistes, depuis le début, même si la croissance paraît forte et que nous avons aujourd’hui plus de 5 millions de “feedback”. Mais en cinq ans, on a travaillé encore et encore chaque jour. Bien sûr qu’aujourd’hui, c’est colossal, mais on le voyait en étapes. Il fallait passer des étapes quant au produit, au nombre de curateurs, à la légitimité de la plateforme, aux partenariats, au développement aux États-Unis vers 2021, etc. Ensuite, ça s’est accéléré et tout ça a été important. C’est une somme de plein de petites choses qui ont fait ce qu’est Groover aujourd’hui”, alors que Groover célèbre ses 5 ans d’existence. “La France a été notre premier marché, on a fait un retour aux États-Unis, nous y avons lancé nos bureaux et sont ensuite venus les partenariats”, lance-t-il. “Une mauvaise idée avec du financement reste une mauvaise idée, mais une bonne idée avec ce même financement peut aller plus vite. C’est ce qu’on a cherché : un moyen de faire mieux et plus vite ce qu’on construisait grâce à la confiance de nos investisseurs. Pour Romain Palmieri, il faut une croyance en ce futur que l’on espère. Il était convaincu que s’il réunissait les bons talents et la bonne équipe, les chances étaient favorables pour le succès de Groover. “Bien sûr que nous étions nerveux au début. On s’est lancés alors qu’on avait 23 ans, mais on avait vraiment envie que ça marche et d’aider les artistes.”
Ne pas perdre de vue la mission
“On veut rester efficaces et faire gagner du temps aux artistes, c’est toujours ce qu’on s’est dit. On veut aussi permettre aux curateurs de découvrir des contenus musicaux d’une nouvelle façon. Ce qui compte est de valider notre plateforme avec les retours “client”. Il a fallu valider nos premières hypothèses : Est-ce que les artistes sont prêts à payer pour faire découvrir leur contenu? Est-ce que les curateurs sont prêts à revenir régulièrement sur la plateforme? Il a fallu travailler de façon itérative pour s’assurer d’apporter une solution à un besoin. C’est ce qui a créé notre légitimité”, mentionne-t-il, présentant ses deux nouveaux projets : Groover Obsessions, un service à la carte auprès des artistes qui ont bien fonctionné sur la plateforme, puis Groover Club, un modèle de coaching individuel où les artistes sont mis en relation avec certains professionnels pour évoluer avec un suivi plus régulier.
À travers cette croissance, comment s’assurer de conserver l’unité des équipes? Pour Romain Palmieri, cela se résume à un mot : culture. “C’est le cœur de ce que nous sommes. Nous avons aussi les valeurs de la bienveillance, la passion, le “feedback” et l’attention aux résultats. Chaque valeur a un écho spécifique avec notre histoire. On veut rester le plus humain possible, mais chaque jour, livrer des résultats. On a aussi une culture du télétravail et une vraie culture de l’écrit : savoir quand il faut s’écrire ou à quel moment est-ce que nous avons besoin de nous parler. Il faut dire que l’aspect international s’est plutôt présenté de lui-même, dans la mesure où la plateforme accueille aujourd’hui des artistes provenant de 180 pays différents.
S’installer à New York
La question se pose : Pourquoi avoir choisi New York et non Toronto, Montréal ou Los Angeles? “Nous avons d’abord choisi les États-Unis parce que c’est le plus grand marché de l’industrie musicale. Pour ce qui est de New York, nous avons réalisé que nous avons toujours eu des artistes américains sur la plateforme et qu’ils y voient de la valeur ajoutée. On a réalisé qu’il y avait un potentiel pour nous, ici”, mentionne l’entrepreneur. À ce moment, l’équipe était déjà bien établie en France, mais les allers-retours professionnels à New York devenaient inévitables. “Il y a ici une grande scène indépendante et une scène “business” artistique très développées. C’est plus simple d’être à New York pour gérer l’équipe en France, notamment avec le décalage horaire qui est moins intense que si nos bureaux étaient à Los Angeles. L’équipe s’est ici développée avec des talents qui étaient initialement dans la musique ou dans la “tech music” comme Spotify, Splice, Sofar et qui nous ont rejoint. On a de la chance!”, dit-il. Romain Palmieri vient de déménager aux États-Unis et son associé Dorian viendra bientôt le rejoindre. Rafaël, quant à lui, restera auprès de l’équipe en Europe. “Nous avons une culture chez Groover où nous avons maintenant deux foyers : Paris et New York.”
Ses inspirations
J’aime toujours cette part d’entrevue où la conversation devient plus personnelle et où l’interlocuteur esquisse quelques sourires. Il se remémore des souvenirs et parle de ce qui le fait vibrer. Après tout, ce sont souvent nos inspirations qui nous poussent à aller au bout de nous-mêmes. “En tant qu’artiste, l’artiste qui m’inspire le plus d’un point de vue de l’œuvre est Damon Albarn. Ce qui m’inspire chez lui est sa capacité à mener des projets très différents les uns des autres, mais avec une identité créative et visuelle très forte. L’album qui m’a le plus marqué est “Grace” de Jeff Buckley, c’est un disque unique qui possède un caractère et une symbolique qui m’inspirent beaucoup. Chaque titre est un petit bijou”, mentionne Palmieri. “Quant aux entrepreneurs dans la musique, on ne peut passer à côté de Daniel Ek (Spotify) et Denis Ladegaillerie (Believe) parce que, sur les 20 dernières années, il fallait que les gens qui écoutent de la musique paient pour ça et il fallait que les artistes distribuent facilement de la musique en digital. Il fallait cette force de frappe dans les révolutions qu’elles ont provoquées. L’entrepreneur mentionne également le nom de quelques investisseurs qui l’inspirent quant à la manière avec laquelle ils ont su préserver la culture de leur organisation. Dans les cofondateurs que je connais, je pense aussi à mes associés, Dorian et Rafael. Ça peut paraître idiot car on travaille ensemble tous les jours, mais je les respecte, je les admire et ils m’inspirent.”
Le souhait de Groover est de devenir une plateforme de référence et l’équipe semble sur une lancée incroyable pour réaliser leur rêve. “J’espère qu’on dira, un jour, dans les grandes révolutions de la musique : il y a eu le streaming, puis la distribution à l’échelle mondiale, et il y a aujourd’hui la promotion internationale facilitée grâce à Groover.”
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