L’écran s’allume, l’artiste est en pleine forme, tout sourire, malgré l’heure matinale et le froid glacial qui se fait bien présent, à l’extérieur. J’ai donné rendez-vous à l’auteur-compositeur-interprète JORDANN. L’artiste montréalais s’est retrouvé, en l’espace de quelques mois, au centre d’un élan de popularité soudain… en Chine.
“Du plus loin que je me souvienne, j’ai 7 ans et j’entends la violoniste Angèle Dubeau à la radio. Tout de suite, je dis à ma mère que je veux jouer du violon. J’ai suivi des cours privés pendant des années, j’ai fait des compétitions et je trouvais que c’était beaucoup de pression”, dit-il, alors qu’on aborde le point de départ de sa passion pour la musique. “À 15 ans, j’ai commencé à jouer d’autres instruments et je pense que c’est ce qui a fait de moi un “Jack of all trades”, mais un “Master of none” aujourd’hui”. Vraiment? L’artiste est écouté mensuellement par plus de 310 000 auditeurs, uniquement sur Spotify, chaque mois.
Un concours qui a fait son chemin
C’est en 2017 que le Montréalais s’inscrit à un concours musical sur les ondes de la chaîne Vrak.tv, “La découverte Play”, un concours animé par Nicolas Ouellet. Le public était appelé à voter pour la composition originale qu’il préférait. Le ou la gagnant(e) remportera un enregistrement professionnel de sa chanson au Réservoir Audio. JORDANN s’est présenté avec sa première composition, “Dehors”. Il remporte le concours et devient, dans la foulée, l’étoile montante “iHeart Radio”. En studio, la chanson passe de 5:30 à 3:15 minutes afin de cadrer dans le format radiophonique. “C’est cette chanson qui est aujourd’hui quadruple platinum!”, lance l’artiste, en riant.
En effet, c’est au milieu de l’année 2024 que l’auteur-compositeur-interprète a vu sa chanson dépasser les 200 millions d’écoutes à travers le monde. Il ne le sait pas encore, mais la Chine lui ouvrira grandes les portes dans les semaines qui suivront. “J’ai fait paraître les extraits “Ashore” et “I Revel In You” en 2018, deux chansons que j’ai enregistrées avec le réalisateur du groupe Men I Trust, avant de sortir un premier EP en 2020. Pendant ce temps-là, ma chanson “Dehors” était en dormance”, dit-il. En 2019, il signe un contrat de gérance avec Lucas Canzona, un professionnel basé à Los Angeles. Il demeure toutefois producteur de son matériel.
Un succès chinois
À la fin de l’année 2022, JORDANN commence à recevoir de plus en plus de commentaires sur sa page YouTube en provenance de l’Asie. “Je commençais à recevoir des commentaires sur YouTube provenant d’Asiatiques qui me disaient qu’ils écoutaient ma musique avec un VPN”, ajoute l’artiste. Deux mois plus tard, le distributeur numérique et label chinois NetEase lui envoie un courriel afin de lui mentionner que la chanson “Dehors” a déjà atteint les 40 millions d’écoutes sur leur plateforme. La chanson était la trame de fond de millions de vidéos de la communauté sur la plateforme Douyin, l’équivalent chinois de TikTok. Car oui, la Chine a des plateformes équivalentes à tout ce qui existe dans le monde comme YouTube, TikTok, Instagram, Spotify, mais en version chinoise. “Tu ne peux pas te créer un compte sur Douyin en tant qu’étranger. Tu as besoin d’un numéro de téléphone chinois”, mentionne JORDANN.
“Je ne comprends pas ce qui est en train de se passer!”, dit-il, alors que ce succès lui semble tellement lointain et nébuleux. C’est le géant ByteDance qui entrera dans la danse: des millions d’utilisateurs reprendront sa chanson, à leur tour, pour créer des vidéos. En novembre 2023, l’extrait “Dehors” devient la chanson numéro 1 sur Shazam à travers la Chine.
Nicolas Ouellet est-il au courant? “Je lui ai déjà écrit sur sa page publique, sur Facebook, mais je ne crois pas qu’il sait que tout ça a commencé grâce à mon premier extrait”, répond JORDANN.
Par où commencer?
“J’ai vécu un grand stress parce que je ne savais pas quoi faire avec ce succès et, surtout, je ne savais pas à qui faire confiance. À ce moment, je n’étais plus avec mon agent et son entreprise, Fairwin, mais je recevais de plus en plus de courriels d’agents et de labels pour acheter les droits de la chanson ou pour me représenter”, souligne l’artiste de 30 ans. “C’est difficile de naviguer à travers ce que je reçois parce que le contrat de ces agences est en mandarin et en anglais.. À certaines occasions, il est écrit que dans le doute, le langage légal en mandarin a préséance sur l’anglais. ”, dit-il. Il se dit très content de ne pas être tombé dans le panneau ou de s’être attaché les mains pour une trop longue durée. “J’ai signé une entente de consultation avec Lucas Canzona et JT Ahle, de Fairwin, à Los Angeles, et on avait des objectifs précis. Il a travaillé super fort pour me trouver un numéro de téléphone chinois, me trouver un distributeur, une agence de marketing et un responsable de tournée là-bas”, conclut JORDANN, qui dit vouloir sauter sur toutes les occasions qui se présentent à lui en Asie.
Et Montréal dans tout ça? “Ça fait 10 ans que je vis à Montréal. Ne pas résonner avec le marché, j’ai connu ça. De voir que ma musique fonctionne sur un autre marché, c’est impossible que je laisse ça passer”, dit-il. “Lucas m’a trouvé très rapidement une agence chinoise fournissant des services marketing et de stratégie dans le monde de la musique, Outdustry”, basée au Royaume-Uni. Leur spécialité est d’intégrer le marché avec un artiste qui vient d’ailleurs. Ils l’ont fait récemment encore avec Lauv, John Legend et Dua Lipa”. L’objectif premier de leurs démarches, à ce moment, est de mettre un visage sur la chanson qui tourne en boucle sur les plateformes. Outdustry propose à JORDANN divers projets dont une compétition de chant à la télévision chinoise afin d’intégrer le marché. L’artiste va refuser cette offre. “Ils m’ont suggéré un TV show! En Chine, on a des compétitions de chant pour des artistes établis. Je l’ai refusé parce que ça me rend extrêmement anxieux!”
Les affaires se confirment sur le territoire
C’est rapidement que l’agence de marketing lui déniche un numéro de téléphone chinois afin de pouvoir se créer un compte sur les plateformes web et créer du contenu. Quelques semaines plus tard, il signe également avec une équipe de booking sur le territoire asiatique.
Je résonne avec cette toile culturelle. J’ai grandi en jouant à des jeux vidéo asiatiques, notamment. L’humour, l’esthétique des choses, les couleurs, la littérature, l’approche mignonne des objets ont toujours fait partie de moi. Quand je vais en Chine, je me sens bien et j’ai juste envie d’être là”, continue l’artiste, les étoiles dans les yeux lorsqu’il parle de ce lieu qui semble lentement l’adopter. Pour ajouter aux bonnes nouvelles, il recevra un visa de travail d’une durée de 9 ans.
Un coup de foudre du public
En 2024, on lui propose de se produire dans une tournée de 8 spectacles. Ce sera le coup de foudre et la surprise totale : le public chante ses chansons. “C’était sold out à Pékin! Le public chantait la chanson et je n’en revenais pas! On a aussi fait un festival à Guiyang en 2024, j’étais le premier artiste de la journée sur la programmation. J’ai commencé les trois premières notes de “Dehors” et les fans chantaient tellement fort. C’était complètement fou!”, lance-t-il. Cette année, il fera paraître six extraits qui constitueront un nouvel album à venir.
Une collaboration marquante
“Notre distributeur nous a proposé de faire une collaboration avec Joseph Zeng, un acteur et chanteur chinois. Il est actuellement une grande vedette là-bas. Il voulait faire “Dehors” en cantonais/français et tout le monde a accepté. La chanson est devenue numéro 1 très rapidement”, confie JORDANN. Sur la plateforme Douyin, en juillet 2024, 1 vidéo sur 2 des utilisateurs était sur la chanson “Dehors”, un duo en cantonais et en français.
La réalité de sa “vraie vie” allait toutefois le rattraper, alors qu’il remet les pieds dans son quartier, à Montréal. “J’ai vécu une “drop” qui m’a affectée en 2024. Je venais tout juste de chanter ma chanson sur la muraille de Chine et, en claquant des doigts, je reviens ici, dans le calme. J’ai vécu un choc, ça m’a présenté une réalité tellement différente de la mienne”, dit-il. JORDANN a pris du temps pour reprendre ses esprits, revoir ses amis et recommencer sa routine. Pour l’avenir, cela dit, il ne se fait pas d’illusions. “Je sais que plus tu montes vite, plus tu risques de descendre aussi vite”. Si on considère que l’offre musicale est grande, ici, attendez de voir ce qu’il y en Chine…
Les visites se poursuivent
En novembre dernier, on l’a invité sur l’un des spectacles de Joseph Zeng pour un duo. “En décembre, je suis aussi retourné en Chine pour un camp d’écriture organisé par NetEase. Ça a été vraiment enivrant et validant pour moi. J’ai rencontré des artistes pour qui j’ai beaucoup de respect et d’admiration… tout ça en raison de la chanson lancée dans un concours en 2017!”
Le questionnement est donc le suivant : reste-t-il à Montréal ou va-t-il tenter sa chance en Asie? “Je vois que ma place n’est peut-être pas ici”, souligne l’auteur-compositeur-interprète. Il pense retourner bientôt à Shanghai pour y vivre et s’imprégner de la culture. Son défi? Déménager son studio. “Ça, ça me tente pas mal moins!”, dit-il en riant.
Est-ce que se faire une place en Chine est possible? Est-ce accessible? “C’est possible, la question est déjà répondue. Accessible? Un peu moins…”, dit-il. D’abord, ce ne sont pas tous les projets qui peuvent bien fonctionner sur le marché asiatique et, deuxièmement, il faut pratiquement y être invité. “La raison pour laquelle j’ai eu la chance d’en faire partie est qu’il y avait un intérêt grandissant de l’intérieur” conclut l’artiste. JORDANN souligne au passage toute l’énergie qu’il doit investir constamment afin d’alimenter ses plateformes. “Il faut produire des vidéos pratiquement tous les jours. Je publie de manière très légère sur Instagram ici, mais c’est un positionnement complètement différent là-bas”. Ses sujets de prédilection demeurent la santé mentale, le bien-être et la connexion avec soi-même, des sujets très personnels. “C’est une quête éternelle pour moi”.
Pour l’avenir, on ne peut lui souhaiter que de continuer à se tailler la place qu’il mérite sur un marché qui nous semble tellement lointain. Déjà, de nombreux projets figurent à son agenda pour 2025. “Si je peux avoir 32 % du fun que j’ai eu l’année dernière, je vais être heureux!”, conclut-il.
La chance aura été un élément excessivement important pour lui. Mais tout le reste est une somme colossale d’heures de travail. Et ça ne semble être que le début…
Pour suivre l’artiste sur Spotify, cliquez ici.
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Rédaction : Michaël Grégoire
Crédit photo : Gracieuseté
