Nouveau contenu et monétisation? Ce n’est qu’un début

Entrevue avec l’agente Nathalie Hébert
Crédit : Émilie Morin

La Boîte Nat Hébert est une agence d’artistes bien établie dans l’écosystème québécois. Avec les années, l’entreprise a développé une spécialité auprès des créateurs de contenu, aussi appelés “influenceurs”, ce qui a mené à la création de La Boîte d’influence. Nous nous sommes entretenus avec sa fondatrice, Nathalie Hébert, pour qui le métier ne cessera jamais d’évoluer et de la surprendre.

J’ai étudié en relations industrielles, un domaine très proche des ressources humaines. J’ai travaillé seulement deux ans pour un employeur. Je suis devenue travailleuse autonome très vite dans mon parcours”, dit-elle, alors que l’entrepreneuriat vient rapidement occuper une place de choix dans sa vie. “Dans mes cours, je me souviens qu’on me disait que ma meilleure sécurité d’emploi serait mon CV”’ dit-elle. À ce sujet, sa vision du métier n’a pas changé.

Ses premiers pas en affaires

C’est avec le père de ses enfants, Sylvain Simard, qu’elle fera ses armes en représentation d’artistes. “Je pense que notre première année en affaires, on a fait 8 000 $ à deux! Il fallait y croire!” Parallèlement, Nathalie Hébert conserve un emploi de quelques heures en ressources humaines, notamment à l’agence Dazmo, propriété de la chanteuse et femme d’affaires Mitsou. “J’ai trouvé le milieu artistique excessivement difficile à percer. D’abord, j’avais treize ans de différence d’âge avec Sylvain et on ne me prenait pas au sérieux. Quand je l’accompagnais, je ne savais pas quelle place prendre face aux personnalités publiques qu’on côtoyait”, dit-elle. À l’époque, Sylvain Simard est directeur des programmes de la station ÉNERGIE du réseau de Bell Média.

Au cours de ses premiers mois en affaires, Nathalie Hébert a eu le réflexe de se réfugier dans le domaine corporatif pour vendre ses artistes. “Dans le corporatif, j’y ai mis beaucoup d’énergie, je voulais tellement réussir. J’appelais, je relançais les clients potentiels constamment. La technologie n’existait pas dans le démarchage! À chaque fois où l’on faisait un événement ou une conférence avec un artiste, je partais avec 2 ou 3 cartes d’affaires.” Petit à petit, elle fait ses classes et apprend le métier… souvent à la dure. “Les quelques années où j’ai évolué en entreprise, j’ai eu des mentors extraordinaires. Ce sont des gens qui m’ont pris sous leur aile. Quand je me suis lancée à mon compte, ce mentorat m’a manqué. Si j’avais pu avoir des mentors dès mes débuts en affaires, j’aurais peut-être pris moins de détours”, conclut-elle.

L’artiste cherche quoi?

La discussion revient souvent : pourquoi un artiste a-t-il besoin d’un agent? De plus en plus d’artistes se gèrent eux-mêmes. C’est vrai. Cela dit, une personnalité publique fera appel à un agent pour soutenir des activités pour lesquelles cette dernière n’aura pas le réseau de contacts, l’énergie ou le temps pour accomplir toutes ces démarches et réunions avec des marques potentielles. “Je pense qu’ils cherchent aussi -surtout du côté de notre boîte d’influence- à mieux connaître leur valeur et savoir quels éléments négocier. Ils savent difficilement comment se comparer, mais de notre côté, on voit passer tellement de contrats et de cartes de tarifs qu’on est en mesure de mieux négocier en toute connaissance du marché”, ajoute l’entrepreneure. Celle-ci mentionne notamment la valeur perçue d’une personnalité en comparaison avec une autre. “Deux personnalités peuvent être semblables en termes de nombre d’abonnés, mais ne pas valoir la même chose. Je pense à un Simon Leclerc qui investit tellement d’heures de travail derrière ses vidéos! Je pense aussi à une personnalité “foodie” qui fait une recette. Tout cela ne vaut pas la même chose qu’un artiste dont la préparation est peut-être plus simple”, conclut-elle. En d’autres termes, un artiste n’aura pas nécessairement un nombre phénoménal d’abonnés, mais créera une telle effervescence qu’il fera grimper les enchères. Nathalie Hébert souligne finalement qu’elle ne travaille pas avec des artistes qui ont besoin de ses services pour payer leur loyer. “Je ne peux pas faire ce métier correctement s’il est fait dans la hâte.” La Boîte Nath Hébert représente des personnalités telles Isabelle Racicot, Dominic Arpin, Simon Leclerc, Clodine Desrochers, Meggan Renaud, Alexandre Despatie, Maxim Martin et Julie Houle.

Des influenceurs, pas toujours simples à comprendre

Les marques semblent jongler plus difficilement avec l’embauche d’une personnalité du web pour promouvoir leurs produits ou services. Tout de suite, l’entrepreneure aborde ses meilleurs souvenirs avec l’influenceur PL Cloutier qu’elle a accompagné pendant plusieurs années. “Il s’est retrouvé tout un été sans emploi, en raison de la perte d’un contrat télé, et il s’est mis à faire des vidéos sur YouTube. Il a organisé un “meet up” dans un parc et il a rassemblé 3 000 personnes, la police est venue!”, lance-t-elle. C’est là où la femme d’affaires réalise que la suite devrait être planifiée pour cette personnalité grandissante sur les plateformes web. Ensemble, ils se rendent jusqu’en France et en Suisse où l’artiste développe une importante base de fans. “À cette époque, il y avait beaucoup d’éducation à faire auprès des marques qui voulaient nous imposer un texte, un décor, etc. Mais est-ce que le client a vraiment pris le temps d’aller sur sa chaîne, voir comment il est ou comment se présente son humour? Pas vraiment”, dit-elle. Le parallèle est intéressant : une marque ne va pas demander à l’émission Salut Bonjour de changer de décor pour correspondre aux couleurs de son nouveau produit. Pourquoi alors le demander à une personnalité du web? D’ailleurs, certains influenceurs réalisent des cotes d’écoute 3, 4 et 10 fois plus grandes que les rendez-vous de la télévision traditionnelle. Malheureusement, ces derniers ne sont pas encore considérés comme des personnalités “valides” dans l’industrie du show-business.

Est-ce simple de passer d’un client à l’autre, d’un univers à l’autre? Vendre un partenariat pour un boxeur professionnel ou pour l’animatrice Julie Houle, ne sont-ce pas deux univers complètement opposés? “J’ai une équipe derrière moi! Mais je dis souvent que les personnalités sont les plus grands spécialistes de leur domaine”, dit-elle. Avec les années, elle a également segmenté avec précision les services offerts et ceux qui ne le sont pas. “On ne fait que très peu de relations de presse. Je suis souvent en soutien aux équipes de presse. Cela dit, pour les premiers contrats d’édition littéraire que j’ai négociés, j’ai engagé un agent littéraire pour me “coacher” et négocier le contrat avec moi. Ça m’a permis d’identifier les clauses à surveiller. Je suis souvent allée chercher l’expertise dont j’avais besoin”, conclut Nathalie Hébert.

L’avenir de la boîte

Depuis les derniers mois, Nathalie Hébert s’attarde à développer de nouvelles façons de monétiser le contenu et les projets des artistes. “Je suis concentrée à développer l’univers du podcast. L’argent s’en va de plus en plus de ce côté, c’est à nous de voir de quelle manière une marque peut s’intégrer correctement dans le format”, dit-elle. L’entrepreneure roule des yeux lorsqu’elle pense à certains créateurs de contenu dont la panoplie de partenaires ressemble à une “pizza all-dressed”. En effet, certains influenceurs aiment faire beaucoup de bruit, au risque que cela devienne tout simplement trop… D’un autre côté, Nathalie Hébert encourage ses artistes à rester eux-mêmes, mais à se diversifier. “Ceux qui osent aller dans plusieurs directions (conférences, création de contenu, podcasts, animation corporative, etc) s’en sortent beaucoup mieux que les autres”, dit-elle.

Avec l’évolution de ses deux agences, est-elle capable de lever le pied et prendre de réelles vacances? “Pendant des années, je n’ai pas eu de vie! Maintenant, je pense que j’en ai davantage, j’ai l’impression que je suis plus capable de mettre mes limites. S’il est 21 h 30 et que je reçois un texto, je vais probablement attendre le lendemain matin avant de répondre”, souligne-t-elle. “On travaille avec des personnalités qui sont parfois très jeunes et ça nous envoie un texto très tard le soir parce qu’ils sont en train de fêter au Festival d’été de Québec! J’ai dû fixer des balises dans le contrat que nous avons avec eux.

Et la Boîte Nath Hébert… sans Nath Hébert? L’entrepreneure s’est entourée de professionnelles d’expérience pour soutenir les mandats et répondre aux demandes diverses des marques. “Je pense que j’étais rendue à ce stade. J’ai tellement de projets en tête, mais je n’avais plus le temps de travailler “sur” mon entreprise plutôt que “dans” mon entreprise” souligne-t-elle. Cette dernière ajoute à quel point elle est fière des artistes qu’elle représente, même si la charge de travail peut devenir très lourde. “J’ai longtemps envié les professionnelles comme Emmanuelle Girard qui se concentre sur peu d’artistes”, dit-elle. C’est effectivement, à la fois, un risque et une opportunité. Elle avoue qu’elle n’est désormais plus la personne-ressource pour la majorité des dossiers. “Comment fais-tu pour aller plus loin, si tu ne fais que répondre au flot de demandes qui entrent? J’ai mis beaucoup de temps à transférer cette confiance, mais ça m’a permis d’aller développer d’autres zones.

Crédit : Émilie Morin

Un métier mal compris… et un métier de deuils

Nathalie Hébert ajoute à quel point les agents comme elle sont surchargés de demandes, quotidiennement, pour toutes leurs personnalités. “Je pense que les gens n’ont pas idée de la quantité de courriels ou de demandes qu’on peut avoir à l’intérieur d’une journée. Et il faudra parfois cinq mois de travail avant d’avoir un seul retour!”, mentionnant à quel point une opportunité doit être travaillée sur une très longue période… sans que l’artiste ne voie ou ne réalise tout ce travail. Elle ajoute finalement que ce métier en est un de deuils. Des artistes arrivent et repartent. C’est d’abord et avant tout une relation humaine : une rupture fait mal. “J’ai vécu de très grands deuils professionnels. Je pense que les premiers sont les plus difficiles parce que tu te remets énormément en question. Aujourd’hui, je ne me sens plus comme un imposteur. Avec certains, ça m’a pris des années avant de m’en remettre ou de ne plus y penser”, dit-elle. Avec les années, elle a appris à mieux cerner les personnalités avec lesquelles l’équipe souhaite travailler. “Une personnalité qui va nous traiter comme des employés ou des adjoints plutôt que des coéquipiers, ce n’est plus quelque chose que j’accepte. On n’est pas en train de calculer d’où vient un filon ou un nouveau mandat. Mais souvent, les artistes se donnent du crédit quand ça va bien et pointent leur équipe du doigt quand ça va mal”, conclut l’entrepreneure. Hé les artistes, après avoir lu ceci, envoyez donc un p’tit texto à votre agent pour lui dire “merci”. Ces petits gestes font toute la différence… 

Après tous ces projets

Est-ce que l’agente songe un jour à une retraite? À 45 ans, Nathalie Hébert est catégorique : ce n’est vraiment pas dans ses plans. “J’avais 7 ans et j’avais des projets. Je ne peux pas imaginer le jour où je n’aurai plus de projets! Je vais probablement m’occuper de mon entreprise encore longtemps, mais on ne connaît pas l’avenir”, conclut-elle. Et son défi, pour les prochaines années? S’adapter aux besoins toujours changeants des marques, notamment en ce qui a trait à l’âge de leurs audiences. “Les marques cherchent un public de plus en plus jeune, c’est clair. Actuellement, toutes les marques veulent rajeunir leur public!”, lance-t-elle. Un créateur de contenu peut aujourd’hui gagner entre 300 000 $ et 500 000 $ par année simplement en partenariats publicitaires. De quoi inspirer, motiver… ou donner le vertige! “C’est impressionnant de voir à quel point les marques sont prêtes à dépenser pour soutenir ces nouveaux contenus”, dit-elle. Nathalie Hébert est sans équivoque à ce sujet : cette transformation ne fait que commencer.

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