Quand on pense à la scène alternative et indépendante de la ville de Québec, L’Anti – Bar & Spectacles est un incontournable. Son propriétaire, Karl-Emmanuel Picard, président de District 7 Production, est littéralement tombé dans l’univers du spectacle quand il était petit… et n’est pas prêt d’en ressortir.
Il a rapidement accepté mon invitation et je vous promets que la discussion aurait pu durer des heures. L’homme d’affaires est aussi actif que passionné. “J’ai toujours été un fan de musique. Mon père était traiteur pour les artistes à Québec. J’étais dans le “street team” de Simple Plan et je me souviens qu’au secondaire, je distribuais des porte-clés ou des autocollants, des affiches du groupe”, débute-t-il. Il sait très jeune ce qu’il veut faire dans la vie : promouvoir et produire des spectacles. “Je me souviens du premier spectacle où le promoteur Michel Brazeau m’a embauché pour la promotion d’un spectacle. C’était pour My Chemical Romance à Québec. Je posais des affiches près des écoles secondaires. À l’époque, il n’y avait que Musique Plus, rien d’autre!”
Vendre des spectacles… sans pouvoir y assister
Karl-Emmanuel Picard organise son premier spectacle dans une maison des jeunes et un deuxième en basse-ville de Québec. “Je me souviens, je faisais payer les spectateurs à l’extérieur de la salle (qui est aujourd’hui devenue La Korrigane). Je n’avais pas 18 ans, je ne pouvais même pas entrer voir le spectacle que j’organisais!”, lance-t-il en riant. En parallèle, sa cousine, l’autrice-compositrice-interprète Pascale Picard, vient de lancer un album qui connaît un succès gigantesque. “Elle avait besoin de quelqu’un pour vendre les spectacles et la marchandise. Mon rêve était d’aller en France. On y est allés pour signer un contrat avec Universal. Toutes les demandes d’entrevues et autres passaient par moi”, se souvient-il.
Avec Pascale Picard, l’entrepreneur a fait le tour du monde avant de revenir s’installer à Québec. “J’ai commencé à gérer Dance Laury Dance, j’ai eu des enfants, puis j’ai ouvert L’Anti – Bar & Spectacles. Mon quartier d’opération est et sera toujours à Québec”, souligne le promoteur qui ajoute tout de même avoir vu le potentiel incroyable d’un marché comme celui de la Chine. “C’est sûr que si je n’avais pas tout ce que j’ai ici, l’envie serait forte d’aller développer les affaires là-bas”, dit-il.
Rester indépendant
À ce sujet, Karl-Emmanuel Picard est très clair : il est indépendant et fier de l’être, dans une industrie où les grands joueurs ont tendance à faire front commun pour occuper le marché. “Je me démène pour la promotion et la production des spectacles. J’essaie de résister à toute possibilité d’acquisition! Je me suis récemment lié à l’Agora du Port de Québec, mais je reste un indépendant”, ajoute-t-il.
La formule peut sembler simpliste, mais ne sautez pas trop vite aux conclusions. Des milliers d’éléments à garder en tête viennent parfois changer la donne de l’organisation d’un spectacle. C’est l’expérience qui change tout, comme on dit! “La mécanique est souvent que l’agent d’un artiste me contacte puisqu’il souhaite faire un spectacle à Québec. Je sélectionne la salle idéale pour ce projet, je loue la salle et je mets les billets en vente”, mentionne-t-il, soulignant que le risque demeure tout de même sur ses épaules. “Récemment, je me suis mis à produire des humoristes européens et ça fonctionne super bien!”. Toujours est-il que le marché n’est pas toujours aussi simple et que les pertes peuvent parfois être arides pour une seule date qui n’a pu se remplir de spectateurs. “Quand les artistes passent dans mes productions, ils sont toujours ravis! Je fais presque tout par moi-même, le marketing, la billetterie, etc. Ça me permet de parler autant au manager, à l’artiste qu’à son équipe”. Le producteur est maintenant l’un des gestionnaires de l’Agora du Vieux-Port de Québec.
La “chaleur” des petites salles
Ça fait partie de lui, il ne peut s’empêcher de réserver quelques dates d’une tournée à l’intérieur de salles indépendantes de la province. “Avec Sara Dufour, on a La Baleine endiablée à Rivière-Ouelle ou Le Zaricot à Saint-Hyacinthe. Ce sont souvent les meilleures soirées, la proximité avec le public est formidable et l’accueil est toujours chaleureux. Dans les salles indépendantes, il y a ce lien qui est plus humain”, dit-il.
Au fil des ans, on l’a régulièrement vu prendre la défense des salles de spectacles indépendantes, notamment quant à leur maigre financement. “Je suis aussi défenseur qu’avant des salles indépendantes. Cela dit, est-ce que j’ai le goût d’être encore propriétaire de L’Anti? Je suis en train d’y réfléchir. Avoir une salle indépendante est tellement difficile, les profits ne sont pratiquement pas là”, dit-il, alors qu’il fête cette année ses 35 ans. Néanmoins, il reste profondément attaché à sa salle en basse-ville de Québec. “Ce que j’aime beaucoup de L’Anti est que c’est une place de premières fois. Le premier spectacle de FouKi qui a eu lieu à Québec s’est fait chez nous, il y avait 10 personnes dans la salle! Je l’ai ensuite fait à la salle Multi, puis à l’Impérial”, raconte-t-il avec fierté. C’est ensuite que la guerre commence, lorsque l’artiste se développe. “Je suis encore là pour développer de jeunes artistes, mais aussitôt qu’ils grandissent, je dois me battre avec de grandes organisations pour leur offrir des opportunités. Je ne peux pas présenter un artiste qui est venu à L’Anti sur les Plaines d’Abraham, mais je peux le présenter à l’Agora ou au Théâtre Capitole”, ajoute Karl-Emmanuel.
Tout le monde fait du spectacle!
Il est vrai qu’on ressent une certaine vague depuis les dernières années où de nombreux professionnels font leur entrée dans l’industrie de la promotion et du booking de spectacles. “On dirait que c’est rendu la nouvelle mode, tout le monde veut devenir producteur de spectacles! La réalité est que ça fonctionne pas mal moins que ça marchait avant la COVID”, lance-t-il, alors qu’il se tourne maintenant de plus en plus vers la gérance d’artistes. “La gérance est intéressante parce que je limite les risques et je peux utiliser toutes mes connaissances au profit de l’artiste. Par exemple, j’en ai tellement fait des festivals que personne ne peut m’en passer une vite! Quand on est reçu dans un festival, je sais comment ça fonctionne”, dit-il.
La gérance, quant à elle, ne s’est pas présentée du jour au lendemain. C’est plutôt la pandémie qui l’a amené à découvrir cet aspect du métier qu’il connaissait moins. “J’ai produit environ 200 spectacles virtuels à L’Anti et, donc, j’ai passé beaucoup de temps avec les artistes. Avant la pandémie, je n’avais pas le temps d’être avec eux et de les écouter. J’ai pris goût à ce nouveau métier”, souligne l’entrepreneur. C’est aussi de manière tout à fait hasardeuse que sa rencontre avec Sara Dufour s’est produite. “Pendant la COVID, j’avais booké un spectacle de Kaïn pour un organisme sans but lucratif. Sara Dufour faisait la première partie et je connaissais son gérant de l’époque, Stéphane Papillon. Je lui ai parlé de mon intérêt à s’occuper de Sara. Stéphane est resté près de nous pendant un an et demi, pour la transition”, conclut-il. Karl-Emmanuel Picard adore sa “nouvelle vie” qui l’amène à voyager partout, bien qu’il soit encore difficile pour lui de séparer sa vie personnelle de ses projets professionnels. Il a de grandes ambitions et il veut les mettre en exécution, tout simplement. Le reste, il y pense très peu.
L’arrivée d’un manager dans la vie d’un artiste
Quel est le bon moment pour un artiste de faire appel à un gérant? “Aussitôt qu’un artiste sort un projet, il a besoin d’un manager. Il y en a trop qui signent des ententes globales, aveuglément et ne font pas d’argent avec ça. Ils se contentent d’un petit salaire en spectacle et signent des contrats de 5 ans. Je ne suis pas un fan de contrats. Je pense qu’on peut travailler des relations sur de bonnes ententes et de bonnes valeurs”, dit-il. Il déplore que certains artistes signent des ententes qui les servent mal alors qu’un gérant aurait pu empêcher ces situations de se produire. C’est aussi son rôle d’entourer son protégé de la meilleure équipe. Spontanément, il pense à Rafaël Perez chez Coyote Records. “Son équipe et lui travaillent fort, ils entourent Sara super bien! Tout le monde est heureux dans une ambiance comme celle-là”’ dit-il. L’entrepreneur souligne toutefois que Sara Dufour produit ses propres albums et qu’elle est en licence en label. “C’est important que les artistes qui arrivent à avoir un certain succès gardent le contrôle sur leurs droits, autant que possible”, termine-t-il.
L’inverse est vrai aussi, lorsque la relation professionnelle doit se terminer. “D’abord, je ne crois pas au contrat. On doit pouvoir mettre fin à une entente qui ne convient pas aux parties”, dit-il. “Il y a quelques années, j’étais assis autour d’une table avec un groupe de musique que je gérais. On sentait qu’on avait fait le tour et je sentais que je n’étais pas capable de faire plus. On a choisi ensemble de laisser les choses aller”, ajoute-t-il, convaincu qu’il existe toujours une manière de bien faire les choses. Cela ne sert à rien de rester en mauvais termes. C’est tout aussi vrai que le milieu artistique est très petit. “L’artiste doit aussi être fier de travailler avec toi. Si ça ne fonctionne pas, il vaut mieux laisser les choses aller et lancer d’autres projets”, conclut l’entrepreneur.
Ses influences
Ah ça, il en a plein et je sens qu’il pourrait m’en parler longtemps! Karl-Emmanuel est passionné de cette industrie et tout autant des talents qui la composent. “Michel Brazeau qui a été le premier à booker Iron Maiden en Amérique du Nord est une grande inspiration. Il a été mon mentor. Jusqu’à son décès, j’étais présent avec lui. Jean Richard, son responsable de production, a aussi été très présent dans ma vie. Carole Melançon, l’adjointe de Michel Brazeau, collabore encore avec moi sur des projets”, souligne-t-il.
“J’ai beaucoup d’admiration pour le parcours d’un Donald K. Donald ou encore la croissance de l’équipe de programmation et de production d’Evenko. J’ai aussi beaucoup de respect pour le gérant d’artistes Mario Lefebvre. Je pense aussi à Sandy Boutin (Simone Records), Louis Carrière (Agence Preste) et Steve Jolin (Disques 7e Ciel)”, souligne-t-il, mentionnant que de son côté, même si on ne cesse de lui dire qu’il devrait embaucher, il n’a pas envie de le faire. Pour lui, le plaisir est d’être sur le terrain. “Je suis la première personne qui arrive et la dernière qui part. Si j’engage, ça implique aussi que je vais devoir délaisser d’autres choses et cesser de courir à gauche et à droite”, dit-il.
Visionnaire
Lorsqu’il pense à l’avenir et à la croissance de son agence, District 7 Production, Karl-Emmanuel Picard est plutôt optimiste. “J’ai encore des rêves et je suis pas mal en train de les réaliser. Je voulais booker un spectacle au Centre Vidéotron et c’est maintenant fait. Je suis allé souvent en Europe avec Pascale Picard et je travaille fort pour ramener Sara Dufour là-bas. Je quitte bientôt au Maroc pour un festival”, mentionnant que l’international l’intéresse de plus en plus. “Je n’ai pas d’objectif précis, mais pas de limite non plus!”
La discussion se termine et on continue de rêver à l’avenir de nos projets. Karl-Emmanuel Picard est catégorique sur l’avenir de sa protégée Sara Dufour. “Je la vois devenir une grande artiste comme Marjo et je serai un Mario Lefebvre! (rires) L’affaire que je préfère le plus au monde et qui me fait le plus de bien, en ce moment, est d’être le gérant de Sara Dufour”, dit-il.
Force est d’admettre que la scène de Québec se porte bien. Enfin, aussi longtemps que Karl-Emmanuel Picard sera dans les parages.