Faire lever la foule, les deux pieds sur terre

Face à face avec Lucky Rose
Luky Rose

Tout commence dans le sous-sol de Vincent Carrier, un artiste de Québec qui investit de plus en plus d’efforts à créer ses propres compositions de musique électronique en plus de « mixer » pour d’autres artistes. Nous sommes en 2015 lorsque Carrier écrit sa première chanson, « The Way You Want Me », un extrait sur lequel l’auteur-compositeur Yan Etchevary vient y poser sa voix. Malgré sa bonne volonté, aucun label ne voulait de cette chanson et très peu d’entre eux ne retournaient ses appels. Quelques semaines plus tard, « The Way You Want Me » devient un véritable « hit » estival avec l’atteinte de centaines de milliers d’écoutes sur YouTube, une entrée remarquée sur Stingray Music et dans les radios commerciales à la grandeur du Canada. À partir de là, Vincent Carrier – maintenant connu sous le nom de Lucky Rose – remporte le Virgin Radio’s Future star contest et apparaît pour la toute première fois dans le Canada’s Billboard TOP 40. Son premier contrat de disque avec le géant mondial Ultra Music, avec qui évoluent Calvin Harris et David Guetta, se signe quelques mois plus tard. Plus tard, il fera la rencontre de son partenaire Marc-Antoine Thibeault qui deviendra lentement la figure principale de Lucky Rose, Carrier préférant demeurer dans l’ombre en dirigeant le processus créatif. Le duo cumule aujourd’hui des dizaines de millions de streams avec leurs chansons The Way You Want Me, Wild One ou Lost et continuent de voir le monde.

Depuis que je discute avec des artistes dans le cadre du Carnet du manager, je constate qu’à plusieurs reprises, les artistes font référence au fruit du hasard lorsqu’ils parlent de leur première rencontre avec un partenaire artistique ou d’affaires, un gérant, un réalisateur, etc. L’histoire de Marc-Antoine Thibeault avec Lucky Rose n’en fait pas exception. Cela dit, la plupart des artistes avec qui j’échange ont tous le même état d’esprit à cette période de leur vie : ils ne savaient jamais vraiment comment y parvenir, mais savaient ce qu’ils voulaient faire de leur vie. « Je suis arrivé dans le projet après la sortie de The Way You Want Me, à la fin de 2017. À ce moment, il y a déjà quelque chose qui se passe pour Lucky Rose et ça se ressent. De mon côté, j’étais dans un duo de DJ à Montréal, on faisait des soirées ici et là, mais on n’a jamais vraiment connu de succès, mais j’avais un rêve clair de faire ça de ma vie. J’avais 19 ans que j’ai mis fin à mon aventure avec mon premier duo. Peu de temps après, Vincent m’a approché parce qu’il recevait plein d’offres pour des spectacles, mais il déteste aller se produire sur scène. Je me souvenais de l’avoir vu mixer sur une scène du Festival d’été de Québec. Je l’ai rencontré et littéralement deux semaines plus tard, on faisait une séance photo pour promouvoir le « nouveau » Lucky Rose! », raconte Marc-Antoine Thibeault. Le duo en est déjà à sa 6e année sur scène.

L’extrait « Wild One » arrive très vite après la sortie de « The Way You Want Me ». Thibeault mentionne d’entrée de jeu qu’il n’y a pas participé, la chanson ayant été co-écrite par son acolyte Vincent Carrier. C’est là où la vague arrive : l’extrait obtient une Certification Or au Canada et résonne à travers de nombreuses radios canadiennes et américaines. Le titre « Lost » suivra rapidement. « À ce moment, on commence à recevoir plusieurs offres de la part d’interprètes, ce que l’on appelle dans le métier recevoir des vocals d’artistes de partout dans le monde afin de poser leur voix sur les chansons du duo », dit-il. Pour Marc-Antoine Thibeault, c’est l’arrivée de la maison de disques américaine Ultra Music qui a changé la donne. Comment cela s’est déroulé? « C’est drôle que tu me parles de ça parce que j’ai plein de souvenirs associés à ce label. Quand t’es jeune, tu envoies plein de tracks en espérant que la maison de disques te réponde et s’intéresse à ton matériel. La réalité est plutôt que la chanson doit déjà bien performer sur les plateformes, dans la musique électronique, pour qu’un label s’y intéresse. Lorsqu’ils arrivent dans le portrait, c’est pour faire exploser le titre qui se fait déjà entendre partout. J’ai l’impression que le label va chercher des valeurs sûres. Mais pour moi, signer avec Ultra Music était mon rêve », mentionne-t-il.

Luky Rose

Signer avec un label de renommée mondiale

Les propositions qui apparaissent dans l’industrie du disque pour un artiste peuvent prendre de nombreuses formes : production, co-production, licence et tout ce qui vient avec. Le rôle « administratif » de l’artiste varie énormément d’un label à l’autre et peut changer selon les projets. Dans le cadre de la musique électronique, lorsque l’objectif ultime est d’être repéré par une maison de disques de calibre international, est-ce que ces « deals » sont béton? L’artiste a-t-il une certaine marge de manœuvre ou est-il confronté à une seule structure? « De notre côté, on signe un album complet, soit 11 titres. Avec Ultra Music, on a déjà fait paraître 5 chansons et, au cours de l’année, on lancera 6 autres extraits pour compléter l’entente que nous avons. La maison de disques a ensuite une possibilité d’option pour un nouvel album, mais rien n’est encore décidé. Je trouve qu’on nous offre tout de même beaucoup de liberté sur ce que l’on peut faire à l’intérieur de ce deal et sur la fréquence de sortie de nos extraits. Le label nous signe en production, assure les coûts en studio et toute la promotion entourant le projet », mentionne Thibeault, qui m’assure être très attentif sur ce qu’il accepte de signer pour l’avancement de sa carrière. L’artiste me mentionne également que la progression de Lucky Rose se fera par étape et par territoire. « Il y a un artiste électronique en France qui se nomme Boris Way, également signé chez Ultra, et dont l’extrait King and Queens connaît sensiblement le succès que nous avons expérimenté ici. Son parcours ressemble au nôtre : il se développe en France et commence lentement à se faire entendre ailleurs. Ça fait un moment que je me dis qu’une collaboration de Lucky Rose avec lui pourrait être super intéressante. Pour se faire connaître sur le marché de l’autre et décupler nos forces… et aussi parce que nous sommes dans la même équipe », lance-t-il.

Lucky Rose échange presque chaque jour avec le responsable A&R attitré à leur carrière. Le duo sait que les 6 titres à venir ont déjà été choisis par Ultra Records, ce dernier a donc la responsabilité de négocier les termes avec chacun des auteurs et interprètes afin que tous y trouvent leur compte avant que la chanson soit lancée. « On n’hésite pas à lui écrire pour avoir des conseils sur ce que l’on pourrait faire sur une chanson ou tout autre conseil artistique pour s’améliorer. Ensuite, on lance la chanson et on n’y touchera plus jamais. Oublie ça, les radio edits, ça n’arrivera pas avec nous! », dit-il en riant. Il n’hésite pas à mentionner que le duo n’est jamais satisfait à 100 % des titres qu’il lance. Peut-être trop perfectionnistes…

Droits d’auteur et bande maîtresse

Est-ce qu’un interprète, un auteur-compositeur ou même un réalisateur devraient avoir accès à des parts de la bande maîtresse d’une chanson, lorsque vient le moment de la négociation avant la sortie d’un titre? Le débat fait couler beaucoup d’encre depuis de nombreuses années. Le réalisateur Connor Seidel s’est déjà exprimé à ce sujet dans le Carnet du manager. Marc-Antoine Thibeault fait mention d’une négociation qui a lieu en ce moment avec une autrice-interprète afin de déterminer sa part de la bande maîtresse. Je ne peux m’empêcher de prendre la balle au bond. « C’est quand même commun dans le monde de la musique électronique qu’un writer obtienne des parts du master. Notre A&R sait ce que l’on souhaite conserver comme parts sur nos chansons, mais notre focus n’est pas là : on veut les meilleurs collaborateurs sur les chansons bien avant de s’assurer de conserver un contrôle sur ce que l’on fait », dit-il. Il faut tout de même mentionner que les revenus principaux de Lucky Rose proviennent de leurs performances en spectacles. Ils vivent également de l’avance monétaire que leur a faite Ultra Records à la signature du contrat, mais ils demeurent plutôt réalistes : ce contrat ne leur générera probablement pas de grands revenus qui leur permettront de rembourser les fonds avancés. L’objectif n’est pas celui-là, à cette étape de leur carrière. Est-ce que le duo est heureux d’évoluer chez Ultra? « Absolument. En ce moment, ça va super bien. Dans le passé, nous avons eu des difficultés parce que l’on voulait sortir des chansons qui ne plaisaient pas au label. Aujourd’hui, j’ai l’impression que la confiance s’est installée et que nous avons une bien meilleure relation. Leur prochain objectif est de nous entourer d’un agent pour se produire davantage sur scène aux États-Unis », mentionne celui qui me fait part du moment où la magie opère : les spectacles.

Est-ce qu’un artiste dans la musique électronique devrait être signé? « Ouf, c’est un sujet chaud dans l’industrie, surtout quand on considère les redevances anémiques des plateformes d’écoute. Je sais que plusieurs DJ militent pour valoriser le fait de se lancer en tant qu’artistes indépendants. Mais je suis de l’autre école. S’entourer d’un joueur majeur est très important pour ton rayonnement mondial, à moins que tu sois un Dieu sur TikTok! Cela dit, on se fait constamment dire qu’on devrait être indépendants ». En effet, les statistiques sur TikTok ne se reflètent pas souvent en streams sur les plateformes d’écoute.

Luky Rose

Sur scène, partout

Vincent Carrier a complètement quitté l’avant-scène et laisse tout l’espace nécessaire à Marc-Antoine Thibeault de faire vivre la « marque » Lucky Rose sur de nombreuses scènes canadiennes et américaines. Il suffit de survoler leur compte Instagram pour comprendre que Thibeault n’a vraiment pas l’intention de s’arrêter. Au moment d’écrire ces lignes, la saison des festivals approche à grands pas et Lucky Rose figure dans plusieurs programmations. Au Québec, le duo collabore avec Fierce Talent Agency, une agence dirigée par Jean-Sébastien Hébert Brunelle, qui se fait notamment connaître pour le succès de la tournée « Life Distorsions » de Jonathan Roy. « Trouver notre propre identité sur scène a été un processus, au même titre que de rechercher notre son en studio. On a récemment pris la décision que je serais la seule image publique de Lucky Rose. On reste un duo, on split nos revenus 50/50 et je te dirais même qu’on ne s’est jamais chicané. À chaque jour on se parle. Vincent peut m’envoyer 5 tracks par semaine et je lui amène des idées. Je pense que nous avons trouvé l’équilibre », dit-il. Thibeault me raconte qu’au tout début de l’année, une grande partie de son travail est de préparer les edits et autres special tracks pour toute la saison 2023 des festivals qui débutera vers le mois de mars ou d’avril. Il cherche ainsi à créer un « son » à lui pour l’année.

Se démarquer

« J’ai étudié en marketing, le branding m’a toujours fasciné. Ce que j’aime moins dans l’univers de la musique est l’obligation de « se créer » une image. J’ai l’impression que les DJ ont tendance à oublier de laisser parler ce qu’ils sont et se construisent une personnalité qui se trouve à des kilomètres de ce qu’ils sont réellement en tant qu’artistes. Je comprends tout à fait la nécessité d’avoir une ligne directrice, du bon contenu, des photos, de la vidéo, etc. L’année dernière, lorsqu’on a pris la décision de retirer Vincent de « l’image » du groupe, on a refait l’exercice à savoir ce que nous voulions représenter. », mentionne Marc-Antoine Thibeault, avouant que le duo a récemment réalisé qu’il était allé beaucoup trop loin en ce sens. « On avait acheté des fusils à CO2 et plein de trucs complètement inutiles sur la scène pour créer un effet wow. Même pendant la séance photo, je devais être dans des roses… bref, ça n’avait pas de sens », lance-t-il. Ce point de vue rejoint la plupart des artistes qui acceptent de se livrer au Carnet du manager : ce besoin qui, un jour ou l’autre, arrive se de recentrer sur ce que l’on est vraiment et ce que l’on a réellement envie de dire. Quelle est la clé pour rester connecté? « On a déjà habité ensemble, Vincent et moi, et c’était loin d’être optimal. Aujourd’hui, on n’habite physiquement pas dans la même ville. Je suis à Trois-Rivières et il est à Québec. Chacun est dans son espace et ça nous a beaucoup aidés. On s’aime beaucoup, mais je sais que j’ai une personnalité plus explosive qui peut déplaire. Il est beaucoup plus patient et à l’écoute. Bref, quand il y a quelque chose, on s’organise une réunion et on communique autant que possible ».

Marc-Antoine Thibeault a toujours rêvé de se produire à New York. Depuis les dernières années, il a multiplié ses performances sur les scènes et dans les clubs new-yorkais. Il y a même habité pendant 3 mois, à l’été 2022. « Je pense que tu dois provoquer ta chance dans la vie. Je voulais le faire, j’ai fait tout ce qu’il fallait pour y arriver et j’ai réussi. C’était une case de plus à cocher sur ma wish list. J’ai adoré ça ». Il a tout autant rêvé de Miami, où il a pu se produire à 4 reprises en 2023. Récemment, son passage au MTelus à Montréal n’est pas passé inaperçu.

Un conseil

« Spontanément, je pense à un conseil récurrent dans cette industrie : ne fais pas trop le party! Est-ce que je l’ai suivi? Vraiment pas toujours! », dit celui qui se concerne nettement plus sur sa santé physique… et mentale. En terminant, on aborde le sujet de l’authenticité et de l’importance de rester connectés à ce que l’on est. « Ce n’est pas propre à la musique électronique, mais c’est fou à quel point on croise des DJ dont l’ego est démesuré. Les demandes de ces artistes dans les loges, je pense au catering, sont insensées. Un artiste comme David Guetta est encore au sommet de la gloire et lorsqu’on l’a rencontré aux États-Unis, j’avais l’impression que je rencontrais un gars dans un pub que je connaissais depuis des années. Il est d’une immense générosité. Au Québec, à l’inverse, on croise des artistes qui sont complètement déconnectés! », lance-t-il. Comme quoi la capacité de garder les deux pieds sur terre n’est pas donnée à tous… et ça se voit.

Si je retiens un seul mot de cet échange, c’est probablement le « respect ». Lucky Rose, c’est l’histoire de deux artistes qui unissent leurs forces et exploitent leurs talents, c’est une petite PME qui a un plan d’affaires assez défini, ce sont deux amis qui ont appris que leur parcours repose sur la communication et un « show man » sur scène dont le besoin de garder les deux pieds sur terre et de s’aérer l’esprit par le sport et la famille est vital. Est-ce la clé du succès? Ces ingrédients sont-ils les meilleurs éléments pour favoriser la longévité d’un artiste? On a promis de se donner rendez-vous dans 10 ans pour répondre à ces questions.

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