En entrevue avec Michaël Grégoire
45 ans de radio sans interruption, voilà l’exploit qu’a réalisé l’animatrice de radio et communicatrice Joanne Boivin. À Québec, elle est littéralement la reine de la radio musicale, après un parcours qui débute en 1979 à Chicoutimi et qui se terminera en décembre 2024. J’ai eu le privilège de la rencontrer, le temps d’un café, afin d’en apprendre davantage sur les dessous de son parcours et sa vision de l’avenir de la radio.
Joanne Boivin a quitté sa région natale en 1983 où elle fait le saut chez CIMF en Outaouais avant de rejoindre CHIK FM en 1984. La station deviendra ensuite ÉNERGIE 98.9. Elle obtiendra un micro au FM 93 en 1989. Ce passage sera d’une courte durée puisqu’on lui offre du temps d’antenne sur les ondes de Rock Détente (aujourd’hui Rouge FM) et elle y restera pendant 22 ans. Depuis août 2024, on la retrouve sur les ondes du FM 93 et de sa station sœur Rythme 102.9 à Québec depuis 2013.
Quitter après 45 ans de radio
“Plein de monde me demande si j’ai le coeur gros. Je te le dis tout de suite : pas du tout. J’ai vraiment bouclé le chapitre de l’émission quotidienne. Par contre, j’aimerais peut-être remplacer sur les deux antennes (Rythme FM et FM 93) ou faire du coaching et donner le goût à des plus jeunes de faire de la radio, ce serait un beau défi”, mentionne-t-elle, alors qu’elle vient de s’asseoir dans ce café qu’elle aime fréquenter. “Je ne voulais pas non plus que quelqu’un me dise que j’étais bonne avant. J’avais peur de ça!”
Pourtant, Joanne Boivin n’a rien perdu de l’énergie qui la caractérise et la voix est toujours là. “Est-ce que ma voix a changé? Un peu quand on me compare à mes débuts, mais l’énergie est aussi présente et c’est par là que ça passe à la radio! (rires) Si tu n’as pas de passion, ça va transparaître dans ta voix. Je suis quelqu’un de très intense, active et j’ai toujours besoin de m’impliquer. C’est dans mon ADN et je pense que ça m’a servi en radio”, mentionne celle qui soufflera cette année ses 65 bougies.
Rester au sommet des ondes
La radio semble être un milieu qui bouge énormément. Les animateurs défilent au gré des sondages de cotes d’écoute, alors que d’autres s’accrochent à leur micro depuis des décennies. “Il faut que tu écoutes les plus jeunes qui font de la radio. Il faut que tu écoutes celles et ceux qui te suivent et non ceux qui te devancent. Quand tu débutes dans ce métier, tu écoutes systématiquement ceux qui te devancent, mais je crois que cela a fait partie de mes forces : j’ai écouté énormément de monde pendant toute ma carrière. Les saveurs du jour, les stations qui roulaient très très fort, simplement pour savoir ce qu’ils racontent”, dit-elle. “J’ai donné une conférence à des jeunes du CRTQ (Le Collège de radio et de télévision de Québec) et je leur disais que j’écoutais Jeff Fillion et tout le monde était surpris. Mais oui, l’animatrice de Rock Détente écoutait Filion pour s’inspirer. Il avait une manière à lui de faire de la radio, dans ses intonations, ses silences, etc. J’écoute ceux qui m’entourent et j’apprends constamment”, ajoute celle qui a obtenu son premier micro à l’âge de 20 ans, à Chicoutimi.
Sans interruption
Quand Joanne Boivin débute, elle considère que le monde ne tourne pas assez vite pour elle et qu’elle a besoin de plus de défis. Elle a rapidement mis les voiles vers Québec où elle obtiendra un premier sur les ondes de CHIK FM.
“En fait, je voulais être journaliste sportive, j’ai fait de la radio étudiante à l’époque où le disco était très à la mode. La radio CJAB me contacte et je vais passer une audition. Le directeur des programmes de l’époque, Roger Laurendeau, me propose de faire les fins de semaine. Finalement, on me rappelle pour m’annoncer que l’animatrice choisie pour le “13 h à 18 h” les a abandonnés. Ils m’ont signée pour trois mois… et ces trois mois sont devenus quatre ans”, ajoute celle qui considère que l’animation est un privilège et un moment très personnel avec les auditeurs. D’ailleurs, si elle n’avait pas été animatrice, elle aurait sans doute travaillé dans l’industrie de la musique. “C’est un univers qui m’intéresse énormément, j’adore les artistes. Je pleure encore dans les spectacles. La radio musicale a toujours été essentielle pour mon bien-être, la radio me permet ça. Je suis montée quelques fois sur scène quelques fois pour chanter, pour des Fondations, mais également pour animer parce que j’adore être sur scène”.
La précarité d’emploi à la radio
Je ne pouvais m’empêcher de lui poser la question sur sa vision du métier aujourd’hui. Lors de ses débuts professionnels, Joanne Boivin était la seule femme dans la station. D’ailleurs, pendant des années, il n’y avait qu’une seule femme par station. “Il fallait que tu sois pas mal comme un gars pour faire ta place!”, lance-t-elle en riant. Comment perçoit-elle le métier et les jeunes animateurs qui prennent les ondes? “C’est sûr qu’il y a des choisis… et des gens malchanceux. Quand je suis arrivée au 107.5, je ne savais pas ce que je deviendrais. C’est devenu Rock Détente quelques mois plus tard et j’ai “surfé” sur la vague. Ça me faisait un bon véhicule. Et une station qui fonctionne, ça aide”, dit-elle. Joanne Boivin soulève toutefois un aspect bien intéressant de ce que devient le métier : l’animateur de radio doit aujourd’hui se considérer comme un entrepreneur à part entière. Avec son nom, sa voix, son image.
“Dans une radio musicale, tu peux devenir juste DJ, c’est la musique qui est en vedette et non l’animateur. Il fallait que je me fasse un nom. J’ai animé de multiples soirées et galas pour me faire un nom. Je faisais beaucoup de bénévolat pour des causes qui me tenaient à cœur. Ce n’était pas toujours “glamour”, mais ça m’a permis de me faire un nom dans l’industrie et auprès des gens d’affaires. Quand ils viennent pour acheter de la publicité, les clients veulent ta voix pour leurs messages. Et plus tu as de clients, plus tu deviens intéressant pour une station de radio!” Elle souligne avoir rapidement compris les rouages de cette industrie, dans la mesure où l’animatrice a dû bâtir son réseau de contacts afin de gagner en “valeur” auprès des grands patrons et gagner sa place.
Et la compétition, dans tout ça? Est-ce qu’un petit marché comme Québec, si on le compare à celui de Montréal, est à ce point compétitif? “C’est un beau milieu de vie, mais les rumeurs courent, c’est incroyable! C’est nid de guêpes, mais les guêpes sont sympathiques! (rires) Quand je suis en ondes, je veux battre toute la compétition, mais j’ai des amis dans toutes les stations. Il faut dire que je n’ai pas fait de radio de controverse, ça me facilitait l’intégration dans tous les milieux. Tu fais de ton mieux en ondes, la suite ne m’appartient pas”, lance-t-elle.
Les contrats en radio
C’est un univers que je connaissais peu, mais à la lumière de ce qu’elle me raconte, je comprends que la valeur d’un animateur se calcule en prenant en considération bien d’autres éléments que sa simple rémunération et ses cotes d’écoute. “La plupart ont des contrats minimum d’un an. Ensuite, ça peut être deux, trois ans ou cinq ans. L’avantage est toujours du côté des employeurs, à mon avis, mais il y a quand même des augmentations significatives chaque année. Ce n’est pas tout le monde qui a des bonis sur les cotes d’écoute, mais si tu ne les as pas, tu as quand même une augmentation que tu as initialement négociée. Tout ce que je viens de te raconter sert à la négociation”, souligne Joanne Boivin. Elle ajoute qu’à l’époque, cette clause n’existait pas. Aujourd’hui, pendant une période d’environ six mois, un animateur ne peut pas travailler dans une station à l’intérieur d’un kilométrage défini. “À l’époque, je n’avais pas cette clause de non-concurrence. J’ai donc pu partir de CHIK pour obtenir un micro au FM 93 à une vitesse phénoménale. Si tu avais une offre et qu’elle était meilleure, tu t’en allais! Ça te permettait d’augmenter ton salaire sans regarder en arrière. Aujourd’hui, tu y réfléchis!”
L’expérience du “talk radio”
En entrevue au Journal de Québec, Joanne Boivin mentionne qu’elle aurait dû tenter plus tôt l’expérience du “talk radio”, mais qu’aujourd’hui, c’est assez. “C’était la dernière expérience que je voulais essayer. P-A Méthot, qui était un humoriste connu et Paul-Raphaël (Charron) formaient une belle équipe. Avant, j’avais peur de la radio parlée et de ne pas être assez bonne. Je ne suis quand même pas dans la radio d’opinion, je choisis de parler de trucs qui m’intéressent, mais j’adore le principe de l’équipe. C’est une première pour moi! Pour l’animatrice, aller en ondes est essentiel et presque vital. Elle en a besoin. “C’est un moment de bonheur et un “safe space” pour moi. Je vais m’ennuyer de ça, il y a quelque chose de magique que je vais perdre en prenant ma retraite”, souligne-t-elle.
Les sondages ou “quand tout le monde est premier”
C’est toujours un moment qui fait sourire, cette annonce des fameux sondages. Avez-vous remarqué que toutes les stations sont toujours fières d’être premières, loin devant leurs compétiteurs? Je me devais d’aborder la question. “Ah, c’est difficile à comprendre! Ce sont des catégories d’âges, des parts de marché, etc. Tu peux être #1 chez une femme 25-54 ans, être #6 chez un homme 25-54 ans, bref, tu peux être ce que tu veux!”, ajoute Joanne Boivin. “Il y a les heures d’écoute aussi. Si ton auditeur t’écoute 10 heures dans la semaine, ça peut valoir davantage que son compétiteur qui est plus fort dans le 25-54 ans, mais qui est écouté que 3 heures par semaine. C’est subtil!”
L’avenir passe par le local
C’est ce qu’elle a affirmé en entrevue, en 2015. “Je le dis encore! Ce que les gens veulent savoir, ils le savent dans la seconde et sur toutes les plateformes. Ce que tu ne sais pas, par contre, c’est qu’à Neuville, il y a une fête des voisins et je peux les saluer. Toute la gang va se passer le mot et ils seront tous à l’écoute. C’est par ce qui se passe vraiment près de nous qu’on va rester fort”, ajoute celle qui est particulièrement fière de constater la qualité de la radio qui se fait à Québec.
“Ce que je conseille aux jeunes animateurs : lisez les journaux et ce qui est local. C’est par là qu’un animateur va faire son chemin. Je suis convaincue de ça. L’animatrice y va également d’un clin d’œil sympathique à son collègue Stephan Dupont, le “morning man” du FM 93. “Il crée son émission du matin en se promenant sur la Rive-Sud! Il a un circuit, un réseau et il fait le bon réseautage. Il s’implique à sa manière, mais il s’implique!”, ajoute-t-elle. “Martin Dalair (WKND) fait la même chose, il est très présent et il parle de ce qui se passe à Québec!”
En résumé, c’est sans doute sa vision des affaires qui a fait de Joanne Boivin l’animatrice qui a su rester impliquée, écoutée et en poste pendant ces 45 dernières années. “Un animateur radio est un entrepreneur, c’est comme ça que les jeunes devraient le voir. Tu dois te vendre… tu es ton produit!”, réplique celle qui rêve désormais d’aller passer des hivers au chaud, dans le Sud.
Une carrière de rencontres… et d’anecdotes
“De mon point de vue, j’ai constaté au fil de ma carrière que ce sont souvent les plus grands qui sont les plus gentils. J’ai eu la chance de côtoyer des Guylaine Tremblay ou des Michel Côté dont l’écoute, le charme et l’honnêteté sont incomparables. J’ai l’impression qu’ils ont compris quelque chose que les autres n’ont pas compris!”, dit-elle en riant, alors qu’elle me présente quelques inspirations qui ont influencé son parcours en tant que professionnelle des communications.
“Ma plus grande inspiration est Suzanne Lévesque qui avait un micro à Montréal, de 9 h à midi, à CKAC. J’aurais rêvé de faire une émission comme elle le faisait dans les années 80! C’était un magazine radiophonique. Elle était formidable!”, ajoute Joanne Boivin. “Oprah Winfrey, pendant des années, je n’ai pas manqué une seule émission à la télévision! Elle m’a appris beaucoup au niveau de la relation que l’on doit entretenir avec les auditeurs. J’admire son naturel et sa manière de parler de ses défauts. Ça m’a inspiré quand j’ai instauré mes “Soupers de filles” qui ont fonctionné pendant 20 ans à Rock Détente. Cette idée m’est venue directement d’Oprah!” Joanne Boivin souligne également le parcours et le style de l’animatrice Marie-Claude Barrette et ne cache pas sa joie de la voir retrouver une tribune à la télévision au cours des prochains mois.
“Ce n’est pas compliqué : il faut que tu aimes les gens! Point final. C’est le seul moteur. Le reste, ça s’apprend!”
Joanne Boivin quittera officiellement les ondes en décembre prochain. D’ici là, vous pouvez l’écouter en semaine au FM 93 ainsi qu’à Rythme FM.