Le besoin de s’exprimer

Face à face avec Kevin Parent
Crédit photo : Steven Grondin

En entrevue avec Michaël Grégoire

On aurait pu passer des heures à se parler des événements qui ont chamboulé la vie de Kevin Parent en 2020, dans la foulée des dénonciations qui ont visé de nombreux artistes. Ce n’est pas l’angle que je souhaitais amener à cette entrevue. Kevin Parent s’est excusé dans les heures qui ont suivi sa dénonciation anonyme et, dans les dernières semaines, s’est maintes fois exprimé à ce sujet. Notre média se veut bienveillant. J’ai pris le temps d’écouter, on laissera le soin aux autres de juger.

J’ai devant moi un artiste qui a visiblement fait du chemin. On se donne rendez-vous au Il Teatro, le restaurant du Théâtre Capitole, où il s’est commandé un repas avant de poursuivre son enchaînement d’entrevues. Le lendemain, il sera en spectacle à La Chapelle Spectacles où il revisitera ses succès et quelques chansons inédites. “Il faut vraiment que je mange quelque chose, ça te déranges-tu?”, me dit-il, en arrivant. Il devait ensuite se rendre au FM93 pour une dernière entrevue où on lui demandera de chanter quelques notes. Il ne voulait pas être en retard. Le téléphone sonne, il doit le prendre. Son agent d’immeuble lui confirme que tout va bien. “Ma douce et moi, on vient d’acheter une petite maison de campagne en Estrie. C’est sa Gaspésie à elle”, mentionne l’artiste.

Crédit photo : Steven Grondin

Le père de famille

À 51 ans, Kevin Parent est le nouveau papa d’une petite fille qui a littéralement changé sa vie. “J’ai écrit la chanson “Fréquenter l’oubli” en 1995 où je me demande s’il y a autre chose à savoir pour chasser l’ennui que de boire tous les soirs. J’ai écrit “Seigneur” où je parle du sexe, des bars et de la drogue, ces illusions-là… J’ai eu du fun et j’ai fait plein de niaiseries, mais je suis passé par là”, dit-il. “Avec ma famille aujourd’hui, j’ai le temps d’être avec eux et de profiter de chaque moment”, dit-il. Le reste, le chanteur l’a amplement vécu. “Je suis content d’être à la maison, j’aime me coucher tôt. Je suis retourné à l’école pour prendre des cours universitaires en musique et qui me donneraient éventuellement l’occasion d’enseigner et de commencer mes journées à 8 h le matin, au lieu de 20 h le soir”, ajoute-t-il.

Kevin Parent porte un regard lucide sur le passé et, bien qu’il ne regrette rien, il ne retournerait pas en arrière. “J’ai été longtemps à prendre un coup avec les musiciens où le diffuseur nous offre une bouteille de vin, des 5 à 7, des lancements, des vernissages. Quand je ne buvais pas, on me disait que j’étais “plate” ou “trop sérieux”. À la fin de la soirée, on se disait “Kevin était saoul”. Ça m’affectait”, souligne le chanteur pour qui l’alcool et la cigarette allaient de pair. “L’alcool, pour moi, c’était la job. On jouait dans les bars et on devait faire boire le monde. Aujourd’hui, j’ai sorti ça de ma vie et je n’ai plus besoin de prendre un coup pour donner un bon spectacle”, dit-il. Est-ce que ça a déjà été ça? “Mets-en! Mais avec l’âge, je ne suis plus là. C’est une réalité de notre métier, mais je te confirme qu’on peut offrir des spectacles de qualité en étant sobre”. L’artiste me parle de ses échauffements vocaux, un moment essentiel de recueillement pour lui, juste avant un spectacle. 

Le succès

Nous sommes en 1993, Kevin Parent gagne un concours d’écriture et Tacca Musique, un label à ce moment dans le vent, lui offre un contrat de disque pour 3 albums. “Être signé sur une longue période, c’était le standard à l’époque”, ajoute le chanteur. “Dit comme ça, on dirait que ça part fort, mais ça faisait plusieurs années que la musique faisait partie de ma vie. En secondaire 3, j’avais chanté “Father and Son” de Cat Stevens à l’auditorium de la Polyvalente de Carleton. J’avais mes démons à gérer, j’écoutais du heavy metal, mais j’avais aussi ce côté acoustique en moi. Ce que je veux dire c’est que j’ai vécu plusieurs étapes dans ma vie avant d’en arriver à ce concours en 1993”, dit-il. Le Gaspésien remportera ce premier concours avec une chanson qu’il a écrite lui-même. Il me rappelle que les réseaux sociaux n’existaient pas au moment où la possibilité d’une carrière se dessine. “À notre époque, les choses se sont faites par étape parce qu’on n’était pas connectés comme le monde l’est aujourd’hui”, dit-il. Kevin Parent est ensuite invité à Musique Plus, le temps d’une performance, où il sera repéré par France D’Amour. C’est elle qui parle au label Tacca Musique afin de donner à ce jeune artiste la lumière qu’il mérite. “Je lui en serai toujours reconnaissant! J’ai un grand respect pour France”, conclut-il.

Quelques mois plus tard, on l’entoure des amis de son gérant de l’époque, Jean-Jacques Dugas. Jeff Smallwood, Pierre Duchesne et plusieurs autres arrivent dans le décor. Ces derniers collaborent déjà ensemble depuis plusieurs années sur les projets de Richard Séguin. “Si ce n’était pas de Jean-Jacques, je n’aurais pas eu l’élan pour faire de la musique. Je n’avais pas l’ambition de la musique. Il a réussi à m’amener à des endroits pour me faire découvrir des talents que je ne savais pas que j’avais”, dit-il. “C’est grâce à lui que je suis sorti de ma Gaspésie. J’avais déjà un fils et je vivais tellement de culpabilité de le laisser pour aller faire de la musique”, ajoute Kevin Parent. On lui disait aussi de se trouver une “vraie job”, d’aller travailler au moulin et de faire de lui un ouvrier manuel. “J’aimais la musique, je viens d’une famille musicale. C’est une façon de m’exprimer, mais ce n’était pas un rêve d’en faire un métier”, dit-il.

Crédit photo : Steven Grondin

Évoluer dans le milieu artistique

J’ai écrit “Boomerang” en pensant au star système. “Je suis un pigeon d’argile qu’on propulse haut dans les airs”. Après ça, on lui tire dessus. “Je l’ai eu, ciboire!””, chante-il, avant de prendre une gorgée de café. Il ne considère pas que l’univers artistique a beaucoup changé, à ce niveau. “Ce sont des cycles. On embellit, on te lance des fleurs, mais on va finir par te crisser le pot par la tête. Pour moi, la musique c’est de se rassembler en famille, de s’aimer ou d’exprimer un trop-plein en s’avouant vulnérable”. Pour lui, la musique était un moyen de transcender ses peurs, ses peines, sa honte et, créativement, de canaliser ces sentiments. “Je ne voulais pas percer, je voulais m’exprimer”, dit-il.

J’ai parfois eu l’occasion de discuter avec ces artistes qui appartiennent à la génération qui nous précède et qui ont, à leur manière, marqué le Québec. L’histoire de chacun se ressemble dans la mesure où ils me racontent souvent que le succès est un concours de circonstances et, bien qu’ils y ont parfois rêvé, ils ne l’ont jamais cherché. “Je pense à plusieurs artistes de ma génération -parce que c’est ce que je connais-, on a du feu, le besoin de chanter est viscéral. Il fallait que ça sorte. Pour moi, passer un mois sans chanter, c’est impossible”, dit-il. “J’ai envie de te parler de quelque chose, à ce sujet, c’est qu’à notre âge, on n’est plus dans la séduction. Les artistes de notre âge vont te le dire : on n’est plus dans le besoin de séduire. On veut plaire, on ne se fout pas de notre public, mais ce n’est pas la machine qui nous porte”, ajoute l’artiste dont les albums se sont vendus à près d’un million d’exemplaires. 

Les 30 ans d’un pigeon d’argile

En 2025, l’album Pigeon d’argile célébrera 3 décennies. Pour l’occasion, Kevin Parent lancera une tournée ponctuée de dizaines de spectacles à travers le Québec. De quelle manière perçoit-il aujourd’hui l’album qui a contribué à le propulser parmi les artistes les plus vendus de sa génération? Aurait-il envie de revoir les arrangements de ses succès ou de tout recommencer? “Jean Leloup a dit quelque chose d’intéressant à ce sujet-là : faire un album est comme le tombeau d’une chanson. Je vois peut-être cela de façon moins péjorative, mais c’est une version qui existe sur l’album. “Fréquenter l’oubli” avait déjà été enregistrée à Montréal, mais elle ne bougeait pas assez pour moi. Je l’ai enregistrée une deuxième fois à Vancouver et ça a fait la version qu’on connaît aujourd’hui”, dit-il. L’extrait a remporté le Félix de la chanson de l’année à l’ADISQ. 

Je ne toucherais pas à cet album-là. Pierre Duchesne y a mis du cœur. Mais je me souviens que j’ai dit à Jean-Pierre Dugas que j’avais l’impression que cet album ne m’appartenait pas! C’était ma première expérience. Je jouais dans les bars, je jouais tous les instruments et je me retrouvais dans un album où tout était joué par d’autres”, ajoute-t-il en riant. “Je leur ai dit, faites ce que voulez, c’est votre album anyway!” Le projet était plus grand que ses idées. Néanmoins, Kevin Parent ne veut pas avoir ce regard critique sur son matériel. Sur scène, pour cette nouvelle tournée, il souhaite que les gens reconnaissent ses succès sans trop les dénaturer.

Crédit photo : Steven Grondin

Des chansons autobiographiques… et en anglais

Pour Kevin Parent, la vie est composée de cycles. “Le plus beau compliment que je puisse avoir est que, malgré les vagues de la vie, les chansons sont encore d’actualité”, dit-il. L’artiste chante ce qu’il a vu et vécu, à travers son filtre. “Le défi que j’ai avec mon premier album était de mettre des mots simples sur des émotions complexes”. Et ce que le public ne sait pas est que le chanteur a écrit, d’abord, tous ses succès en anglais. “Father on the go”, j’ai gardé le même titre. “Seigneur”, j’ai été inspiré par une chanson de Bob Dylan. “Mother of our child”, ça sonne super bien en anglais”, dit-il. “J’ai grandi en anglais, j’aurais rêvé de pouvoir chanter en anglais, ma langue maternelle!” Croyez-le ou non, il existe quelque part des maquettes des grands “hits” de Kevin Parent en anglais, dans leur première version. Est-ce que la prochaine étape serait de revisiter ses chansons en anglais? “Ce serait l’fun. Ça fait partie de mes projets”, conclut-il.

On se prépare à quitter la table lorsqu’on aborde son processus d’écriture. La pire souffrance que tu as au fond de toi, comme artiste, part avec ça pour écrire une chanson. Pourquoi? Parce que l’intensité de ce sentiment sera toujours vraie et le public va répondre à ça, dit-il. Kevin Parent s’excuse mille fois de devoir quitter pour se rendre à sa prochaine entrevue. Il avait des anecdotes à me raconter pour les cinq prochaines heures, assurément. Un artiste posé, à l’écoute et reconnaissant d’être encore là. 

Pour toutes les dates de la tournée, cliquez ici.

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