Le plaisir d’écouter

Un billet de William Gaboury, réalisateur
William Gaboury
Crédit photo : William Gaboury

Je m’en souviens encore comme si c’était hier. Mes amis et moi allions à la sortie de l’école, en plein milieu de semaine, acheter un album chez un disquaire. Excités à l’idée d’entendre de la musique que nous n’avions jamais entendue, nous en faisions presque un rituel. Posséder la musique, ou un produit musical, était à ce moment quelque chose sur quoi on ne réfléchissait pas beaucoup, disons-le. En revanche, on discutait de chaque chanson de long en large : le son des guitares, la voix du chanteur, les synthétiseurs, notre chanson favorite, etc…

Le jeune “moi” de secondaire 3 devenait de plus en plus passionné par la musique à cette époque. J’avais dans l’idée que pour vraiment bien assimiler chaque pièce d’un long-jeu, je devais écouter l’album pendant au moins une semaine. Chaque jour. C’est seulement après 7 jours d’écoute intensive que je savais si j’aimais vraiment l’album que je venais d’acheter. Ce qui déterminait du même coup si j’allais acheter le prochain album de cet artiste ou non l’année d’après. Vous souvenez-vous du plaisir d’écouter? Peut-être que ce plaisir est toujours présent, ou peut-être l’avez-vous perdu sans vous en rendre compte. Vous souvenez-vous d’aller chez un disquaire? Marcher vers “votre” section? Celle où vous faisiez balancer chaque boîtier comme des dominos, à la recherche de quelque chose de nouveau. Je me souviens encore très clairement avoir eu ces pensées :

– Non. Non. Non. Non. Non. Non. Oui! Je vais aller l’écouter tantôt. Qu’est-ce que j’étais venu chercher déjà? 

45 minutes plus tard, je revenais au kiosque d’écoute avec 12 albums dans les mains, le commis me pointant du doigt le panneau “5 albums maximum”. Ils finissaient toujours par me laisser aller au bout de ma pile de toute façon… Le plaisir d’écouter, pour moi, c’était ça. Je devais choisir lesquels je ramènerais avec moi et ceux que j’allais laisser le commis remballer. Assis sur mon banc dans ma bulle en écoutant quelque chose de nouveau. Oubliez le “noise cancelling” dans ce temps-là. Le seul “noise cancelling” que j’avais, c’était le volume à 10. Et j’étais reparti encore… Jusqu’à ce que, subitement, mon oreille accroche sur quelque chose d’audacieux, de nouveau. Quelque chose que je n’avais jamais entendu. Ça pouvait être aussi simple qu’un segment au violon. Ou la voix de la chanteuse que j’aimais vraiment. Vous rappelez-vous? Avez-vous toujours ce plaisir d’écouter?  Ce sentiment que vous venez de découvrir quelque chose. Peut-être pas… Ou peut-être que vous l’avez sans vous poser trop de question.  Je pense que chacun se doit de prendre le temps d’écouter. Parce que si vous pouvez fixer vraiment votre attention sur l’écoute, alors vous êtes vraiment en train de “décrocher”, comme on le dit si bien.  Être capable de décrocher est quelque chose qui n’est pas facile pour tout le monde. L’expression le dit bien d’elle-même, si nous sentons le besoin de “décrocher”, c’est probablement parce que nous sommes “accrochés” à quelque chose. Et cette chose, elle fait partie du passé. Vous me suivez?  Donc, on pourrait dire que la musique nous aide à revenir au présent. Le temps présent. En tout cas pour moi, elle le fait vraiment. Avant, il y avait une certaine forme imposée, que je viens de décrire, où nous n’avions pas vraiment le choix de prendre le temps. Mais maintenant que cette forme particulière n’est plus, quand prenez-vous le temps d’écouter? 

Il est très intéressant de voir que chacun et chacune a une relation différente avec la musique, mais que pourtant, on l’écoute tous pour la même raison. Elle nous fait sentir mieux. Et ce sentiment de bien-être, je crois, vient du fait de vivre au moment présent. Revenir dans le présent par la musique. Seulement quand c’est la nôtre, cela dit, car celle du voisin est souvent plus agaçante qu’autre chose, ce qui montre à quel point la musique est une forme d’art personnelle et spirituelle. Je crois en fait que la musique est l’une des formes d’art qui peut agir directement sur le moral. Cette vibration artistique vient traverser toute nos craintes pour toucher directement le “je” et nous ramener dans le présent. Et j’en connais quelques-uns qui en font presque une religion. Ils possèdent ce qu’on pourrait appeler un temple d’écoute, où chaque fil a été précieusement choisi pour sa qualité sonore. Même chose pour chaque enceinte et chaque amplificateur. J’ai même déjà entendu quelqu’un me dire qu’il trouvait que son tapis de salon sonnait mieux que celui de sa chambre à coucher. Vrai ou pas, c’est sans importance. Mais où va tout cela? Où est-ce que je veux en venir?  Mon seul et unique point est que je crois qu’on sous-estime la valeur de la musique dans notre société. Et nul n’est mon but de dénoncer ou pointer du doigt pour trouver un fautif. Il y a beaucoup de gens sur cette Terre qui méritent plus d’importance et de droits. Mais dites-vous ceci : les artistes ont des rêves, et ils continueront de les rêver tant et aussi longtemps que nous serons capables de les écouter.

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