Comme la plupart d’entre vous, la musique fait partie de ma vie depuis que je suis très jeune. Pour devenir professionnel dans ce domaine, j’ai passé d’innombrables heures à tenter d’apprendre tous les secrets de l’audio, la science et la physique du son, à effectuer des tests, lire des livres, etc. L’aspect qui m’a toujours fasciné le plus est la relation entre la musique et les émotions. La qualité sonore est ultra importante et une priorité pour moi, mais en tant qu’ingénieur de mixage et de mastering, ma philosophie a toujours été d’optimiser l’impact émotionnel des chansons.
Il faut voir la musique comme une captation de l’énergie et des vibrations sur un média analogique ou numérique. Lorsque les gens jouent cet enregistrement, nos oreilles et notre cerveau captent les ondes sonores et les convertissent en signaux électriques et chimiques. Ces signaux sont ensuite transmis du nerf auditif au cerveau qui en fait l’interprétation. Mais le plus fascinant, à mon avis, c’est l’existence des neurones miroirs, car ce sont eux qui nous permettent de ressentir les émotions des autres.
Par exemple, en écoutant une musique triste ou joyeuse, nous pouvons ressentir des émotions similaires à celles que l’artiste a voulu transmettre. Cette résonance émotionnelle est due à l’activation de ces neurones qui nous permettent de « vivre » l’émotion observée ou entendue. Même si nous ne jouons pas d’un instrument, lorsque nous écoutons de la musique, les neurones miroirs peuvent activer des régions motrices du cerveau, ce qui nous fait bouger ou taper du pied en rythme avec la musique. Une étude récente a même démontré, en utilisant des pièces de musique classique, que le rythme cardiaque peut suivre le tempo des chansons.
Je me suis donc interrogé en profondeur pour savoir pourquoi la musique des années précédant l’arrivée des technologies permettant de manipuler les performances en studio me touche davantage que celle d’aujourd’hui, et il n’est pas question de nostalgie ici. C’est lorsque j’ai compris le lien entre le fonctionnement des neurones miroir et celui du cerveau que j’ai compris pourquoi une grande partie de la musique d’aujourd’hui me laisse indifférent ou sans émotion. Sans vouloir être ésotérique, ceci n’est que ma théorie personnelle basée sur mon expérience dans le monde de l’audio et mes analyses de milliers de chansons, mais je crois sincèrement que plus un signal acoustique est manipulé, moins il reste de l’émotion et l’énergie enregistrée se perd. En tant qu’humains, notre cerveau a une capacité incroyable à discerner le vrai du faux de façon inconsciente.
Les chansons qui me touchent le plus sont celles qui viennent du cœur, les vraies chansons ressenties. Je vous donne trois exemples : « Iris » de Goo Goo Dolls, « My Heart Will Go On » de Céline Dion et « Let It Be » des Beatles. Malheureusement, dans cette nouvelle ère musicale, beaucoup de productions ont des dizaines de pistes de voix parfaitement alignées avec une justesse impeccable mais sans émotion. J’ai l’impression qu’une grande partie de l’industrie ne se concentre pas sur le plus important. Bien que cela puisse fonctionner dans certains styles afin d’obtenir une certaine esthétique, je trouve qu’on perd toute la vérité de la performance, toute l’émotion est atténuée et les dynamiques naturelles disparaissent. Le drum est la plupart du temps quantifié de façon mécanique et toutes les nuances sont remplacées par des samples. On se retrouve avec de la musique « parfaite » mais statique, linéaire et sans émotion. Même la surutilisation de séquences en playback durant les concerts live de nos jours fait souvent dissoudre la performance des artistes. En 2024, presque tout sonne bien, la qualité sonore est « meilleure » qu’avant, mais si les gens ne ressentent pas d’émotion, c’est probablement l’une des raisons pour lesquelles ils sont blasés et changent rapidement de chanson. C’est l’équivalent de se retrouver devant un beau repas qui ne goûte rien, de regarder un film dont les acteurs ne sont pas crédibles, ou de voir une image incroyable générée avec l’AI mais qui nous paraît stérile.
Le but de cette longue publication est de vous faire réfléchir et révolutionner votre approche pour toutes vos prochaines chansons et votre philosophie face à l’enregistrement et la réalisation en studio. Pour certains, c’est naturel et la lecture de tout ceci est inutile. Mais pour les autres, surtout les artistes qui débutent, gardez toujours en tête que ce qui est enregistré est exactement ce que vous chantez devant le micro ou votre performance sur un instrument. Nous pouvons par la suite corriger et manipuler l’audio pour tenter de l’améliorer mais, à mon avis, chaque manipulation altère les émotions et l’énergie captée. D’où l’importance de ressentir dès le départ la joie, le bonheur, la tristesse, la colère dans vos pistes. Car, malgré tous les avancements technologiques, c’est l’aspect que nous ne sommes toujours pas capables de créer ou de modifier et c’est le plus important dans la musique.
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