“L’artiste est au cœur de notre démarche”

Face à face avec Vincent Beaulieu
Crédit photo : JPC

En entrevue avec Michaël Grégoire

L’agence BAM est une agence de représentation d’artistes, de production et de spectacle, de gérance et une maison de disques située à Québec. Depuis maintenant plus de 20 ans, Vincent Beaulieu et son équipe se donnent comme mission d’offrir aux artistes un environnement qui favorise leur épanouissement et leur rayonnement. Depuis 2002, leurs agents ont collaboré avec des artistes québécois, canadiens et internationaux : Stefie Shock, Gowan (Styx), Annie Blanchard, Maxime Landry, Laurence Jalbert, Viviane Audet, Ken Presse et plusieurs autres font partie de leur catalogue.

À quoi ressemble aujourd’hui l’univers de la production de spectacles et de la gérance? Je suis allé rencontrer un producteur fièrement de Québec qui en avait long à raconter. “L’internationalisation de l’industrie fait en sorte que notre réalité au Québec ressemble étrangement à ce qui se vit dans le reste du Canada. Les enjeux sont essentiellement les mêmes. Tout le monde est en train de chercher des solutions et je pense qu’ici, nous sommes en retard un peu. Nous avons un grand virage à faire dans l’industrie canadienne”, mentionne Vincent Beaulieu dans son bureau du Chemin des Quatre-Bourgeois. D’accord, mais cette réalité se résume essentiellement à quoi? “D’abord par la compréhension du numérique au sens large et de quelle manière cela fonctionne. C’est doublement un défi parce que ça évolue vite! Je pense à mon garçon : la télévision et la radio, il ne connaît pas vraiment ça. Sa télévision est son iPad et il consomme plein de contenu par le numérique uniquement. L’approche est totalement différente de celle que j’ai connue quand j’ai commencé, la clientèle qui fréquente les salles agit de façon bien différente maintenant qu’au moment où j’ai commencé il y a vingt ans.”, dit-il. Le sujet est intéressant puisque les études démontrent que le public n’a jamais consommé autant de contenu musical. La musique est désormais présente partout, sous toutes ses formes, à la télévision généraliste ou à la radio, mais surtout sur Facebook, Instagram, TikTok et de très nombreuses plateformes qui attirent un auditoire de plus en plus jeune. “Je te dirais même plus que ça : cette découvrabilité fait en sorte que tout va très vite, les carrières sont de plus en plus courtes et les professionnels de l’industrie doivent le réaliser. Quelle est la nouvelle fenêtre d’opportunités pour un artiste? 2 ans? 5 ans?”, ajoute-t-il. Et la question se pose… “Certains de mes confrères me disaient qu’on est trop vieux pour changer notre modèle, mais je suis en total désaccord avec ça. Ce n’est pas parce que j’ai des cheveux gris que je ne suis pas en mesure de comprendre ce qui se passe et de rester au-devant de la parade. La question est de se demander de quelle manière les jeunes d’aujourd’hui consommeront de la musique dans 5 ans, 10 ans et même 20 ans, et ça, ça me stimule beaucoup! C’est vraiment grisant de pouvoir évoluer constamment. J’aime apprendre, je suis curieux et j’aime quand ça bouge alors je suis servi !

L’engagement du public envers un artiste

Est-ce que le public s’attache aujourd’hui différemment à un artiste? Est-ce vrai de dire que les méthodes de promotion qui fonctionnaient avant en production de spectacles n’ont plus la même portée, de nos jours? “Je ne pense pas que ce soit l’engagement du public, le problème. Selon moi, c’est l’artiste qui a la responsabilité de créer le lien envers ses fans et ce sont eux qui vont se déplacer où l’artiste va être. Je pense qu’on a peut-être pris pour acquis le fait que les gens vont se déplacer aux concerts parce que, à l’époque, gagner un Félix à l’ADISQ te faisait remplir une tournée. Aujourd’hui, le Félix n’a plus la même signification qu’avant. Mais le public n’est pas désengagé pour autant, c’est ça la nuance. Il cherche une expérience, un lien particulier avec l’artiste comme ça pouvait être avant, c’est le canal de communication entre le fans et l’artiste qui a changé”, répond le producteur qui compte aujourd’hui une équipe de 9 personnes à Québec et à Montréal. “Mon cheval de bataille comme producteur de spectacles est de m’assurer que l’artiste va créer un véritable engagement avec ses fans. Il faut aussi faire attention avec les chiffres : ce n’est pas parce qu’un artiste est très suivi qu’il va nécessairement engager son public. Comme producteur, ça fait partie des paramètres que j’observe activement”, dit-il. Je retiens donc que le réflexe d’un producteur de spectacles envers un artiste est aujourd’hui de valider son nombre d’abonnés sur les plateformes, mais surtout de valider leur taux d’engagement. Par exemple, si un artiste possède 100 000 abonnés, mais n’arrive pas à créer de l’engagement réel sur ses publications (mentions “J’aime”, partages, commentaires, etc.), on comprend que ses projets seront difficiles à “vendre” auprès de cette même audience. “Notre équipe supporte beaucoup plus nos artistes par rapport à la manière d’exister sur les réseaux sociaux, comprendre la niche de l’artiste et de quelle manière on va stimuler les fans”, ajoute Vincent Beaulieu. Le producteur ajoute également qu’il porte une attention particulière à l’entourage professionnel d’un artiste lorsque vient le moment de s’impliquer (ou non) dans un projet. “Quand je m’intéresse à un artiste, je me pose toujours ces questions : Qui est le label? Qui est le gérant? Qui est aux relations de presse et qui sont les pros qui gravitent autour de lui? Si tu n’as pas les bons joueurs sur la patinoire, tu vas rapidement te faire dépasser, l’offre est tellement grande, on ne peut pas laisser ces éléments de côté”, dit-il, mentionnant à quel point il manque de gérants d’artistes dans cette industrie.

Et les grands médias, dans tout cela? Est-ce qu’ils ont un impact suffisant pour attirer un large public? “Je pense que la radio est en train de se faire avaler parce qu’elle est restée dans un modèle qui a de moins en moins d’impact aujourd’hui. Comme producteur de spectacles, je ne peux plus me fier aux palmarès pour m’assurer de vendre des billets. La télévision c’est pas mal la même chose. À part quelques émissions phares, les impacts sont moins grands que ce qu’il pouvait être avant. Par contre, ça fait du super matériel pour les réseaux sociaux!”, lance Vincent Beaulieu.

J’aurais voulu être un artiste

Le parcours de Vincent Beaulieu a débuté dans la musique, alors qu’il rêvait de monter sur scène. “J’ai commencé comme musicien! (rires) C’est mon surveillant de salles en secondaire 5, Alain St-Arnaud, qui m’avait mis au défi d’aller jouer sur la Terrasse Dufferin, à Québec. Il n’y a rien qui me motive plus qu’un défi! J’ai commencé comme ça et je me faisais “garrocher” des 30 sous dans mon “case” de guitare! Ensuite, j’ai fait des boîtes à chansons, j’ai eu mon groupe de musique, etc.”, dit-il. Par la force des choses et par son intérêt grandissant envers les rouages de l’industrie, il décide d’en faire son métier. “Je me suis mis à m’occuper du groupe de musique et j’ai pas mal appris ce métier en le faisant. Mes parents, comptables, m’ont obligé à aller à l’école et j’ai fait mon diplôme universitaire. J’ai ensuite fait deux ans et demi en organisation d’événements. J’ai proposé à mes associés de l’époque de lancer une division “booking” de notre boîte en événementiel et ils ont refusé. C’est comme ça que je suis parti à mon compte”. C’est ainsi qu’est née l’entreprise Productions Vincent Beaulieu qui deviendra plus tard PVB et, finalement, Agence BAM. Bref, Vincent Beaulieu voulait être un artiste! “Au départ, oui! Je voulais devenir un chanteur populaire comme mes idoles Richard Séguin, Michel Rivard, Paul Piché, etc. Mais quand je suis entré dans une maison de disques et que ce qu’ils voulaient signer étaient des auteurs-compositeurs à l’époque, j’ai commencé à écrire. Je n’étais peut-être pas mauvais, mais j’étais loin d’être bon!”, lance-t-il en riant. “Quand j’ai découvert l’arrière scène de ce métier-là, j’ai adoré ça. J’ai vite compris dans le processus que je n’avais pas le talent ni la passion pour être l’artiste”.

Se lancer sans manuel d’instruction

Quand je me suis plongé dans ce métier, à l’instar de Vincent Beaulieu, j’ai tenté de tout lire ce qui pouvait exister sur l’industrie du show-business. J’ai vite fait le tour du jardin, la littérature sur le sujet est quasi inexistante. “Je ne comprends pas qu’il y ait si peu de livres sur l’industrie au Québec, il faut changer ça”, lance-t-il. “Quand j’ai débuté, j’étais à l’écoute et je posais beaucoup de questions. Il n’existait pas beaucoup de partage d’information, j’ai appris, je me suis trompé et je me suis relevé de ça. J’ai acheté beaucoup de livres, je voulais tellement tout comprendre. Sinon, j’ai évolué à force d’échanger et de poser des questions. Il y a aussi plein de gens qui m’ont donné des chances, au fil de ma carrière”. Parce que oui, l’industrie semble encore fonctionner à coups d’essais, d’erreurs et de “chances données” aux nouveaux qui arrivent dans cet univers professionnel.

Est-ce qu’à un moment ou à un autre, Vincent Beaulieu a senti qu’il venait enfin d’entrer dans la cour des grands? Quel fut l’élément “fortifiant” de son parcours? “Je ne peux pas dire que j’ai senti un moment précis où je sentais ma vie changer, mais je pense à plein de beaux succès sur mon parcours. Ma dernière réalisation à laquelle je pense est Tim McGraw au Festival Western de St-Tite. Je suis fier de ça et de tous les succès qui ont jalonné mon parcours. J’aime cette industrie, je suis un passionné de musique et je veux juste rester  le plus longtemps possible dans cette industrie que j’aime! Je veux continuer de sentir que je fais une différence dans la carrière des artistes.”, dit-il. C’est ce que je ressens surtout, au fil de mes rencontres avec des professionnels de l’industrie : ce plaisir à faire un métier difficile, mais cette volonté viscérale de rester debout, contre vents et marées.

Parlons-en de cette industrie qui semble changer aussi vite que la météo. Des gérants, producteurs ou agents de promotion qui ont régné en maître dans les années 80 ou 90 m’ont souvent parlé “du passé” avec un sentiment de nostalgie, une forme de tristesse de découvrir une industrie qui semble s’écrouler et de voir leurs compatriotes quitter le milieu avec un goût amer. Vincent Beaulieu est loin d’être de ceux-là. “Il y a deux façons de voir les choses : Tu regardes l’industrie décliner et tu déprimes ou, sinon, tu te relèves les manches et tu travailles pour te faire connaître autrement. J’essaie constamment de voir les choses de façon positive. Il y a eu une époque où je me plaignais comme tout  le monde, j’ai vécu deux faillites de distributeurs avec mon label, mais je me suis toujours dit que le contenu est encore le moteur qui me permet de faire des spectacles, il faut donc continuer”, dit-il. Est-ce que les changements de l’industrie, l’arrivée du numérique et ces manières de “consommer” le contenu musical sont venus à ce point brasser les cartes? “Partons du spectacle et remontons la chaîne jusqu’à son contenu de départ. Il n’y a plus de règles! Si tu fais une bonne chanson, sors-là! On veut l’entendre, maintenant. On veut du contenu et les fans aussi. On réfléchit beaucoup trop à ce qu’on veut sortir alors que le contenu et la constance sont rois et maîtres. Si tu es capable de générer du bon contenu engageant, publie-le”, conclut celui dont les faits d’armes de son écurie ont été souvent récompensés au Gala de l’ADISQ ou au Gala Country. “Quand tu essaies toujours de viser la perfection, je pense que tu passes à côté de quelque chose. Il ne faut pas négliger la qualité, cependant, se retenir de la faire parce que ce n’est pas parfait, c’est une erreur selon moi. Tant qu’il y a un plan derrière, c’est ce qui compte.”.

Choisir Québec

Quand on parle de la Ville de Québec, mon interlocuteur s’illumine. “J’aime fondamentalement et profondément ma ville! Je suis le cliché du gars de Québec! Il fallait être un peu fou à l’époque, mais je voyais le potentiel de la scène de Québec. Oui j’ai fait des allers-retours souvent, mais c’était un “statement” pour moi et je suis encore fier de le faire de Québec”, dit-il. Le producteur me nomme les Sylvain Parent-Bédard, les Rafel Perez (Coyote Records) ou les Robert Lepage qui créent à Québec et cela l’inspire.

Jongler avec ses chapeaux

Producteur de spectacles, agent de spectacles (booking), gérant, agent de promotion, conseiller, imprésario, ouf! Autant de rôles qui peuvent donner le vertige. Comment Vincent Beaulieu arrive-t-il à compartimenter chaque aspect de ses rôles professionnels afin d’offrir la meilleure expérience possible aux artistes? “Avant qu’on se parle, la gérante d’Alexandre Belliard m’a téléphoné pour qu’on parle de la planification des prochains mois. Elle est à l’interne, chez nous! On joue le jeu pour éviter le fameux commentaire que j’entends souvent des artistes qui craignent le fameux “360”. C’est important pour nous de compartimenter les projets et de bien l’expliquer à nos partenaires et surtout de s’assurer pour l’artiste que tous les angles sont couverts et qu’il peut être en confiance chez nous”, dit-il. Notre discussion s’est lentement déplacée vers l’importance d’instaurer des balises claires dans ce milieu où il peut devenir facile de tomber dans le piège de la disponibilité 24 heures/7 jours. “J’ai mis des limites dans les communications avec les artistes et je trouve que c’est bien de l’exprimer à l’artiste, dès le départ. Je vais gérer un certain type d’artistes qui veulent fonctionner avec la façon dont je fonctionne. Ce n’est pas vrai qu’il faut être disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7”, ajoute-t-il. “J’ai des heures ouvrables, du lundi au vendredi. Après ça, je suis disponible pour des urgences, mais par exemple, quand j’ai la garde de mon garçon, je ne vais pas voir de spectacles cette semaine-là. C’est au gérant de mettre ses balises et de les respecter. Mets des balises… et respecte-les, ça peut éviter l’épuisement que nous avons trop vu dans les dernières années dans notre industrie. J’ai beaucoup d’amis et de collègues qui ont souffert de ne pas mettre de limite.” J’ai pris des notes!

Ses inspirations

J’en ai tellement! Maurice Velenosi et Larry Mancini qui m’ont donné mon premier mandat de Nathalie Choquette et beaucoup de conseils. Ils m’ont beaucoup aidé. Richard Mills qui m’a aidé et est devenu un partenaire et mentor avec qui j’échange régulièrement, Greg Janese chez Paradigm à l’époque qui m’a donné mes premières chances avec des artistes internationaux. Aujourd’hui, Tom Kemp (Feldman Agency), un gars que j’adore avec qui j’échange souvent aussi! Benjamin Phaneuf, Eric Young, plusieurs pros avec qui j’ai grandi dans cette business et qui sont encore bien présents. Bref, il y a en a plusieurs dans cette industrie qui m’inspirent!” D’ailleurs, ouvrez l’œil, Vincent Beaulieu enregistre souvent des petites capsules vidéo sur les réseaux sociaux dans lesquelles il raconte des anecdotes avec des artistes ou des professionnels de l’industrie. C’est plus que surprenant! 

Et c’est quoi un “bon” artiste aujourd’hui, aux yeux de l’industrie? “C’est celui qui comprend bien ce qu’il est et qui va s’assumer créativement. C’est la personne qui croira assez fort à son matériel pour être en mesure de le défendre et de s’investir dans sa communauté”, soulignant que l’artiste doit être unique, mais surtout comprendre pourquoi il l’est. “L’artiste doit être au courant de ce qui se passe dans ses affaires, mais doit encore faire confiance à ses partenaires. Les grands artistes de ce monde ont tous des équipes”, ajoute le producteur. “C’est fou à quel point les artistes ont peur de vouloir être ce qu’ils sont! Le public te sera fidèle parce que tu as une honnêteté et une authenticité que les gens sentent et s’y attachent!

Et il rêve encore

Est-ce que j’ai fait le tour du jardin? Non, parce que ça change tellement! J’apprends encore tous les jours et je repousse mes limites. Je pense à Jorane qui vient de revenir de Vancouver. Dans sa signature artistique, elle est unique et c’est ce qui fait sa force! Quand tu développes un marché qui cherche quelque chose de vraiment original, c’est formidable à développer”, dit-il avec la passion dans les yeux, alors que nous avons clairement dépassé le temps alloué à cette entrevue. Je sens à quel point il pourrait m’entretenir encore pendant des heures sur ce qui le passionne encore autant, 20 ans plus tard. “ L’artiste ne doit jamais rien prendre pour acquis dans cette industrie. Il faut toujours qu’il repousse les limites dans sa création, qu’il évolue. L’artiste doit se concentrer sur ce qui te rend unique et pousser dans ce sens”, dit-il. “Malgré les difficultés que nous pouvons rencontrer, je rêve de pouvoir faire rayonner un maximum d’artistes, de leur donner le meilleur environnement professionnel possible pour les faire rayonner et d’avoir le meilleur réseau pour leur permettre de s’épanouir le plus possible.”

L’agence BAM a le vent dans les voiles et sa mission continue de se définir avec les années. “Notre signature a toujours été d’avoir des projets grand public, peu importe le style ou la forme d’art de la scène. On fait ça pour le monde, comme disait ma mère!” On lui souhaite encore 20 autres années de création et de passion.

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