S’approprier le vide

Face à face avec Stéphanie Boulay
Crédit photo: Stéphanie Boulay

Déjà 12 ans de carrière pour Les Soeurs Boulay, le duo ayant cumulé quatre albums et un EP. En 2024, les artistes décident de prendre une pause de cette fusion pour se concentrer sur leurs projets personnels. Ce n’est pas la fin, c’est une parenthèse pour explorer autre chose. L’auteure-compositrice-interprète Stéphanie Boulay vient tout juste de dévoiler son nouvel album solo, un deuxième pour elle, et a accepté avec générosité de nous accorder une entrevue. 

“Est-ce que quelqu’un me voit?” est un album émouvant, intime, où l’artiste dévoile ses réflexions, son évolution et sa vie privée d’une manière qui touche au cœur. Un saut dans le vide qui est un véritable accomplissement pour notre interlocutrice. “Je suis une personne extrêmement curieuse qui a toujours besoin d’essayer et de comprendre de nouvelles choses. Le fait que je vienne du duo Les Soeurs Boulay et que ce soit autant mon “safe space”, c’est comme si j’avais développé ma personnalité en étant interdépendante. Ce n’est pas négatif, mais j’ai construit en étant dans une démarche de compromis et en me fiant sur ma sœur pour plein de choses”, dit-elle. L’artiste mentionne que sa séparation et la pause que sa sœur et elle choisissent de prendre furent un point tournant dans la création de ce projet. “À ce moment-là, c’était souffrant pour moi parce que je ne savais pas qui j’étais ou à quoi je servais. J’ai trop d’affaires en moi pour vivre juste une vie. J’ai eu besoin de faire cet album, j’ai profité de ce vide pour apprendre de nouvelles choses.

Neurodivergence

Stéphanie Boulay vient également de dévoiler son balado, “Apparaître : la neurodivergence invisible” traitant des diagnostics de neurodivergence tardifs chez les individus. Cette dernière a reçu un diagnostic de neurodivergence à 35 ans qui a changé sa vie. “Quand j’étais jeune, j’avais des amis, mais je me trouvais “awkward”. L’endroit où j’ai toujours pu être vraiment moi-même, c’est dans la création”, mentionne-t-elle. “Quand j’ai eu mon diagnostic, j’ai ressenti le besoin d’en parler sur les médias sociaux. Je suis allée à la radio pour en parler et la réalisatrice Marie-Pierre Bouchard a entendu mon entrevue. Ça faisait longtemps qu’elle avait envie de faire un balado sur les diagnostics tardifs”, ajoutant que le balado est le format audio qu’elle écoute le plus, même avant la musique. “C’est arrivé au moment parfait pour moi. On a fait beaucoup de recherches ensemble, on s’est plongées dans ça pour présenter d’autres profils parce que la neurodivergence a plein de visages.

Tout faire soi-même

Fait intéressant, Stéphanie Boulay en a fait énormément par elle-même avec cet album. Jusqu’aux photos de la pochette, elle signe pratiquement tout. “Il y avait trop de vide dans ma vie et j’avais besoin de le remplir avec quelque chose de constructif”, souligne-t-elle. “C’est venu d’une urgence d’écrire, mais aussi parce que j’avais toujours dans ma tête que mon réalisateur Alexandre Martel m’avait offert de réaliser mon deuxième album. Quand je me suis retrouvée toute seule chez moi, je me suis lancée. L’ouverture d’Alexandre dans ma démarche a fait toute la différence.

En plus de son réalisateur, elle a retrouvé l’équipe de Simone Records qui avait notamment fait paraître le dernier album des Soeurs Boulay, Marie-Pier Létourneau, une complice de la première heure aux relations de presse et Anne-Sophie Beauchemin, une stratège médias sociaux qui l’épaule dans tous les rouages techniques des plateformes.

La peur de dire

L’auteure-compositrice-interprète présente un album magnifique, sensible, mais dont les mots peuvent être aussi doux que criants de vérité. Elle ne cache rien, ne se censure pas, elle parle de ses parents, de son enfance. Elle lève le voile sur des zones que l’on voudrait d’habitude laisser au placard… ou dans son jardin secret. “Je pense que j’ai écrit comme si personne allait m’écouter. Ça m’a pris du temps avant d’assumer que j’allais faire un disque. En 2018, j’ai fait un premier album solo, mais je ne l’ai pas assumé. J’ai abandonné mon album, j’ai dit non à presque tout”, dit-elle. L’artiste réalise que le public partira avec ses mots, avec des textes qu’elle n’aurait même jamais avoués aux personnes les plus proches d’elle. “Je n’aurais pas écrit ça avec ma sœur à mes côtés. Avec cet album, je suis la seule responsable de tout ce que je dis, ça m’a permis d’aller plus loin”, conclut-elle.

Peut-on tout dire, tout écrire? Peut-on, au nom de la création, tout dévoiler? “C’est une question que je me pose souvent ces temps-ci. Quand ça parle d’autres personnes, je me demande vraiment si une chanson devrait sortir. On voit dans les médias des auteurs qui se font poursuivre par leur famille”, ajoute Stéphanie Boulay. L’artiste comprend qu’avoir une voix publique est un pouvoir puisque c’est ce narratif qui sera mis de l’avant. “Il y a une chanson sur mon album que je n’étais pas “game” d’ajouter parce que je trouvais justement qu’elle en disait trop, mais en même temps, je n’étais pas capable de l’oublier. Je l’ai donc mise sur le vinyle uniquement. Je ne me censure pas, je vais au bout de ma démarche, mais le but n’est pas que des gens souffrent à cause de ça.” 

Une part de lumière

Plusieurs ont décrit cet album comme “triste”, mais on y perçoit beaucoup de lumière. Peut-être parce que le soleil tapait au plus fort au bureau, au moment de l’écoute. Qui sait? On perçoit une quête d’amour, une lettre bien sentie à ses parents, une ode à son enfance, une redéfinition de soi. “Je suis contente que ça se ressente! Je dis depuis le début que ce n’est pas une histoire triste! Si j’étais juste triste, je n’aurais pas osé dire ces choses-là, je ne serais pas ici aujourd’hui. Pour moi, c’est de nommer les éléments sombres et vrais de ma démarche, avec mes failles et mes faiblesses”, lance-t-elle.

A-t-elle déjà pensé à tout arrêter? La vie publique l’a-t-elle malmenée au point où elle rencontre un moment de rupture? “Jamais. La création fait partie de moi. Je parle beaucoup de solitude sur l’album, mais je suis quand même très bien entourée. Dans les dernières années, j’ai réparé des affaires, j’ai fait des meilleurs choix, je suis moins impulsive. J’assume totalement la façon dont je prends la parole aujourd’hui”, dit-elle. Une renaissance qui la rend confortable et assumée, bien qu’elle ne s’exprimera plus sur les réseaux sociaux comme elle l’a fait par le passé. “J’ai été traumatisée par la haine sur les plateformes. Pour moi, la bonne façon de s’exprimer a été de faire un balado et un nouvel album.

Des inspirations… surprenantes

Stéphanie Boulay se permet un clin d’œil touchant à Ginette Reno en écrivant “Si l’essentiel est d’être aimée, qu’est-ce que ça veut dire ma vie?”, une chanson qui fait verser une larme. “Je me suis inspirée de mes archives personnelles, de la musique qui a teinté mon parcours de vie. J’ai une chanson qui s’inspire de Ginette Reno, d’Olivia Rodrigo, de Lana Del Rey, de la chanson “Male Fantasy” de Billie Eilish. C’est d’ailleurs grâce à cette chanson que j’ai écrit “Je ne suis plus personne”, l’une de mes préférées”, dit-elle. Et pour cela, elle remercie ces grandes vedettes américaines. “On dit souvent que les pop stars sont vides et superficielles. Non, elles sauvent des vies! Avoir des icônes qui vivent leur corps, leur sexualité, leurs émotions, ça m’inspire beaucoup.

La conversation, le besoin d’échanger et de mieux se comprendre semblent avoir pris une place toute particulière dans la vie de Stéphanie Boulay. Elle nous présente un album lumineux, personnel qui s’écoute avec lenteur et calme, comme on tourne les pages d’un vieil album photo : avec délicatesse et un regard nouveau.

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