Pierre Séguin : Un mordu de télévision

Un entretien avec Michaël Grégoire

“Il faut être un véritable passionné de télévision pour réussir à transposer la magie d’un grand spectacle ou événement à travers le cadre réducteur d’un téléviseur”, mentionne L’inis dans le bottin de ses membres. Encore aujourd’hui, la passion de Pierre Séguin pour la réalisation et le monde de la télévision ne s’est pas essoufflée. En quelques années seulement, ce dernier est devenu l’un des réalisateurs les plus en demande au Québec. Pierre Séguin est récipiendaire de sept prix Gémeaux pour diverses productions télévisuelles, de nombreuses nominations aux Gemini Awards, sept Félix au Gala de l’ADISQ et un Grand Olivier au Gala des Olivier.

On lui doit la réalisation de centaines d’émissions de télévision, de variétés, de galas, de séries humoristiques, de captations de spectacles ou de comédies, sans compter des dizaines de documentaires. “Du plus loin que je me souvienne, c’est ce métier que je voulais faire dans la vie. Quand j’étais très jeune, mes sœurs m’ont amené à Télé-Métropole (qui est devenue TVA) pour voir une émission du Capitaine Bonhomme, une émission pour enfants, qui enregistrait cinq émissions le samedi. Je devais avoir 3 ou 4 ans et c’est à ce moment que j’ai décidé de devenir caméraman. Depuis, je n’ai jamais changé d’idée sur ce que je voulais faire dans la vie”, mentionne Pierre Séguin. Il a tour à tour occupé les rôles de metteur en scène, réalisateur, directeur artistique, caméraman, aiguilleur, monteur et musicien à la télévision. “Au début des années 70, j’allais à Terre des Hommes pour voir les enregistrements télé de Radio-Canada qui se faisaient là-bas au kiosque international. Quelques années plus tard, je me rendais directement en autobus à Radio-Canada pour assister aux enregistrements répétitions des émissions de variété qui se déroulaient au Studio 42. Quand les caméramans prenaient des pauses, j’allais leur demander si je pouvais jouer avec les caméras! (rires) Ils me laissaient faire, ils pensaient que j’étais le fils de quelqu’un qui travaillait sur la production !” ajoute celui pour qui la télévision n’a plus de secret.

Un passionné de la télé

Originaire de Ville Lasalle, à Montréal, Pierre Séguin n’a pas hésité avant de se lancer dans l’univers de la télévision. Il a d’abord suivi sa formation en Arts et technologies des médias à Jonquière avant de revenir à Montréal. “Je voulais revenir à Montréal et je savais que ça se passerait davantage ici, dans la métropole. Je suis devenu monteur dans une boîte qui s’appelait Intertel Images. Même des diffuseurs comme Radio-Canada n’avaient pas d’équipement très sophistiqué en post-production, le montage se faisait donc dans notre entreprise, sur la rue Larivière, à deux pas de Radio-Canada”, dit-il. Dans les années 80, les coûts de production et de réalisation explosent. “Je me souviens qu’à l’époque, en 1982, on chargeait un tarif d’environ 1 500 $ à l’heure pour nos services. C’était énorme! Aujourd’hui, si tu paies 500 $ ou 600 $ pour une salle de montage par jour, c’est bien. De nos jours, avec les bons programmes et des serveurs, tu fais plus et en moins de temps que ce que nous faisions à l’époque avec des équipements qui coûtaient des millions”, raconte celui qui pilote toujours aujourd’hui la réalisation et la direction artistique de la Fête nationale, à Montréal. D’ailleurs, fait intéressant, Pierre Séguin est l’un des seuls professionnels au Québec à s’aiguiller lui-même, en direct avec 16 ou 17 caméras.

La Petite Vie

Spécialiste des grandes émissions de variétés, Pierre Séguin est passé maître dans l’art des captations en direct, et il a aussi une excellente connaissance des systèmes haute-définition et 4k, mentionne son portrait sur la page web de L’inis. Mais il faut avouer que sa vie s’est complètement transformée avec la plus importante production de sa carrière, La Petite Vie. “Quand j’étais monteur-aiguilleur en 1985, quand ils tournaient au Club Soda, Jean Bissonnette m’avait engagé pour monter les Lundis des Ha!Ha!, et en réaliser un « best-of ». J’ai rencontré Serge et Claude à cette époque. Jean a été un peu comme mon mentor, il m’a notamment montré comment faire un beau pacing”, souligne-t-il. C’est Jean Bissonnette qui avait été metteur en scène du spectacle “Une fois Cinq”,en 1976 sur la montagne. Une soirée mythique au Québec. “Bissonnette m’a fait confiance au début des années 80. Chaque fois que je fais un spectacle, je pense à lui. Ce que je retiens d’un bon spectacle est qu’il faut raconter une histoire. Il faut que les gens se sentent transportés d’une place à l’autre et qu’il doit y avoir une direction. Je me questionne toujours à savoir où est le fil rouge”, dit-il.

Au début des années 90, Pierre Séguin est invité à réaliser Le monde merveilleux de Ding et Dong dans lequel on retrouvera pour la toute première fois dans ce sketch avec  Pôpa et Môman, les personnages de Thérèse et Réjean,  interprétés par Diane Lavallée et Marc Messier. “On s’arrangeait comme on pouvait! Par exemple, on a mis le lit debout pour que le monde dans la salle puisse voir les comédiens. C’est aussi simple que cela!”, lance Pierre Séguin en riant. Encore aujourd’hui, on a le record d’audience en une seule écoute. En 1998, La Petite Vie cumulait plus de 4 millions de téléspectateurs. “À travers tout ce que j’ai fait, La Petite Vie est sans doute le projet qui a le plus marqué ma carrière. Jacques Duchesneau qui était le chef de police de la Ville de Montréal disait que les lundis soirs, il y avait moins de criminalité, les salles d’urgences à l’hôpital étaient vides, etc”, mentionne-t-il.

Quand on regarde derrière

Quel regard Pierre Séguin porte-t-il sur ses projets antérieurs? “La réalisation, ça vieillit et ça évolue. Il faut bien commencer quelque part. Tu réécoutes les premiers albums des Beatles, tu te dis qu’aujourd’hui on ferait différemment. C’est normal, ça! Mais à quelque part, j’ai l’impression que le vintage finit toujours par redevenir bon!”, mentionne celui qui dit aujourd’hui réaliser des projets surtout par passion. “Si j’avais à faire aujourd’hui une émission que j’ai réalisée en 1987, c’est évident que mon regard aurait changé. Pierre Séguin mentionne ne pas s’attarder au passé, tout simplement. “Quand j’ai réalisé le spectacle de Paul McCartney sur les Plaines d’Abraham et plus tard à Halifax, les gens me demandaient ce que j’allais faire après. “Ben je vais aller réaliser pour Paul Piché!”, je leur disais en riant. Pour moi, il n’y a pas de grands et de petits projets, c’est toujours un défi différent à chaque fois.”

Les formats et les budgets

La technologie a évolué à une vitesse phénoménale au cours des dernières décennies. Pierre Séguin ne voit pas ces changements d’un mauvais œil, mais plutôt comme une opportunité de réaliser des projets sous des formats nouveaux, innovants et à moindre coût. Les budgets ont fondu comme neige au soleil, d’accord, mais est-ce systématiquement un enjeu? “Il y a plus de technologie dans mon iPhone que dans les caméras qui valaient 150 000 $ en 1975. Juste pour ça, c’est un peu normal qu’il y ait une certaine stabilité ou diminution dans les budgets. Quand “Lance et compte” a été tourné par Jean-Claude Lord en 1986 ou 1987, ils tournaient en 35 mm, ça coûtait 1 million par épisode! Juste en budget de support, pour acheter aussi simple que des bobines, ça prenait une bonne partie du budget, dit-il. Pierre Séguin ajoute que la majorité des budgets de l’époque étaient investis dans les besoins techniques. Il souligne toutefois qu’à certains égards, les budgets ont diminué à un point tel où il devient moins agréable de travailler en s’offrant toute la créativité dont les artisans auraient besoin. “Je me rappelle en 1993, j’ai dit à des collègues qu’on devrait tourner en HD parce que ça allait durer longtemps. Ils m’ont ri dans la face parce qu’ils étaient convaincus que La Petite Vie ne durerait pas!”, lance-t-il. 

De nos jours, de nombreuses productions de Radio-Canada sont réalisées à l’extérieur des murs de la chaîne. Cela a contribué à réduire les coûts et à se questionner sur la pertinence du besoin d’un si grand immeuble. On connaît la suite.

Quant aux formats, ils se sont multipliés. “De 1910 à 1958 environ, le seul format sur lequel on pouvait archiver du matériel était le film et l’acétate. En 1958 est arrivé le magnétoscope. Avant, pour tout l’archivage de télévision qui se faisait en direct, de 1948 à 1958, on mettait une caméra de film devant un moniteur et ils filmaient le résultat d’un moniteur. Ça devenait un cinégramme. C’est juste en 1958 que l’enregistrement magnétoscopique est arrivé. Puis il y a eu le numérique dans les années 90, le D1, D2, le format HD, le HD Cam, etc.”, dit Pierre Séguin. Le temps d’antenne a également été modifié. “On avait, avant, 24 minutes et 30 secondes de contenu, pour une émission de 30 minutes à l’antenne. Maintenant, c’est rendu 21 minutes et 30 secondes. Le reste, c’est de la publicité! Ce n’est pas juste Radio-Canada, c’est partout pareil”, ajoute-t-il. Fait intéressant, La Petite Vie cumule encore 1,5 million de cotes d’écoute par émission.

Les grands événements

Depuis plusieurs années, Pierre Séguin contribue à la réalisation de la Fête nationale à Montréal, un rôle dont il est particulièrement fier et qui lui tient à cœur. “Nous sommes 3 sur le comité de direction artistique pour la Fête nationale à Montréal. Je suis aussi metteur en scène du spectacle et nous sommes en ondes sur TVA et Radio-Canada en même temps. Félix Leclerc fut le pionnier des auteurs-compositeurs-interprètes québécois à être plus “international”. Lui disait “les gens ne viennent pas nous voir, ils viennent se voir”. C’est un spectacle où le public de 10 à 95 ans vient s’amuser”, mentionne-t-il. Pour lui, toute l’importance de cet événement est liée à l’histoire qu’on raconte, d’une édition à l’autre. Il faut être éducatif, inclusif, varié musicalement, tendre à avoir autant de couleurs sur scène que de différentes nations autochtones et être le plus représentatif possible de notre Québec en changement. Le défi de marier tout cela sur une même scène, dans un seul spectacle, est un cadeau pour Pierre Séguin. “Au-delà de ça, c’est la fête des francophones. Pendant deux heures de télévision, on chante juste en français et en langues Autochtones!

Pierre Séguin a également été mandaté pour une autre tâche importante dans sa carrière : la réalisation de la captation du spectacle de Paul McCartney sur les Plaines d’Abraham, dans le cadre des célébrations du 400e de la Ville de Québec. Ce dernier m’explique que puisque les chansons sont déjà connues du grand public, cela amène un niveau de difficulté en moins. Toutefois, la première étape était de connaître la formation sur scène (le nombre de musiciens, la plantation). Par la suite, on entre dans tout le volet de la sécurité de l’artiste. Sir Paul” est anobli par la royauté britannique, il y a donc toujours un groupe d’Interpol qui suit un “Sir”. Ensuite, il y a la Gendarmerie royale du Canada, il y a la Sûreté du Québec, la police municipale et les gardiens de sécurité sur scène. Il y a essentiellement cinq niveaux de sécurité avant de parler à l’artiste”, mentionne Pierre Séguin. Le contact avec l’artiste s’est essentiellement fait le matin même du spectacle. Il ajoute que l’artiste n’avait pas de demandes particulières, outre des volontés techniques quant à la captation. “Par exemple, on ne pouvait pas cadrer plus proche que la moitié de son buste. On ne pouvait pas tourner plus “serré” pour éviter qu’on voit le visage de trop près”, dit-il.

La carrière de Pierre Séguin est impressionnante et son vécu nous rappelle à quel point la technologie évolue à une très grande vitesse. Ce professionnel est un mordu de télévision qui n’a aucunement l’intention de penser à la retraite. Au contraire, il a encore mille projets en tête à réaliser…

À propos – Pierre Séguin

L’inis note que parmi les émissions marquantes de sa carrière, on y retrouve : L’Odyssée, (téléthéâtre en direct), Solström, Studio TV5, le Gala des prix Jutra, le Gala Les Olivier, le Festival International de Jazz de Montréal, le Festival d’été de Québec, les Jeux de la Francophonie, plusieurs spéciaux pour Céline Dion (dont le spectacle du nouvel an 2000), les Grands spectacles de la Fête Nationale, Le Plaisir croît avec l’usage (séries/émissions de variétés et captations), le Grand Rire Bleue, les Galas Juste pour Rire ADISQ, les Gémeaux, (séries de variétés humoristique), sans oublier l’émission-culte La Petite Vie (comédie de situation – 64 émissions) ainsi que des directs pour Paul McCartney (2008 et 2009), Sting et Placido Domingo. Il y a aussi Star Académie – 2009, L’Autre Gala de L’ADISQ 2012-2013-2014, les galas Célébration 2011-2012-1013-2014-2015-2016-2017, les grands spectacles de la Fête nationale à Montréal 2000-2001-2002-2013-2014-2015-2016, 2017, 2018, La série de variété « Danser pour gagner », 6 nouveaux épisodes de « La Petite » vie pour le 30e anniversaire, etc… Récipiendaire d’un Félix à l’ADISQ 2000 pour la mise en scène du spectacle de Dix-mille matins de Daniel Boucher, il signera aussi les mises en scène pour Brigitte Boisjoli, Diane Dufresne, le groupe QW4RTZ, les grands spectacles de la Fête nationale à Montréal durant plusieurs années, et différents galas et émissions spéciales télévisées. Ses derniers documentaires sont : Jean-Pierre Ferland, la dernière tournée, Clémence Desrochers : À cœur ouvert, Le show-business québécois : du Big Bang à aujourd’hui, les Grands Reportages personnalités RDI, 1 fois 5 en mémoire ainsi que La Petite Vie – 15 ans. 

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