On est toujours au commencement

Face à face avec Manuel Tadros
Crédit : Steven Grondin

Il a été prince à Vérone, crabe dans une mer de Disney, mentor de voix, chanteur, père admiratif, acteur débordant. Il a été mille hommes sans jamais trahir l’homme. Manuel Tadros a traversé nos écrans, nos scènes, nos doublages, très souvent dans l’ombre. À 68 ans, il revient là où plusieurs ne l’attendaient plus en dévoilant une nouvelle chanson originale. Et surtout, dans une parole qui raconte ses racines, généreuse, touchante.

Alors qu’il était de passage à Québec, Manuel Tadros a pris le temps de faire le survol d’une vie professionnelle bien remplie, mais qui, selon lui, ne fait que commencer.

Une « gang » qui fait du bien

Quand on le retrouve, l’artiste revient d’un marathon scénique : la tournée Zénith. Un projet télévisuel transformé en tournée à succès, et dans lequel il s’est senti, à sa grande surprise, profondément à sa place. “Ce show-là, c’était la victoire des gentils. J’ai rarement vu une équipe aussi généreuse. Des accessoiristes aux chorégraphes, tout le monde te porte, te protège”, dit-il. 

Il se souvient aussi d’un imprévu devenu moment marquant : un duo avec Sarah Dufour. “On était tous les deux les perdants du rendez-vous télévisé, mais on a gagné notre place en duo. Une belle leçon de télé et de vie”, ajoute l’artiste. Cette expérience lui aura redonné envie de recommencer à créer, de chanter, de renouer avec une partie de lui qu’il avait mise de côté. “C’est là que j’ai su que je voulais refaire un album.

Crédit : Steven Grondin

Une voix sans école

Le public connaît sa voix sans toujours savoir à qui elle appartient. Pourtant, depuis plus de trente ans, Manuel Tadros est l’un des piliers du doublage au Québec. Son histoire avec le métier commence par hasard, dans un petit studio montréalais, alors qu’il accompagne un ami ingénieur de son. Il auditionne sans trop savoir ce qu’il fait et reçoit une remarque qui lui fera plaisir: “T’es tombé dedans quand t’étais petit”. Il ne quittera plus jamais le micro.

Il devient peu à peu une référence dans le milieu. Un autodidacte devenu professeur, respecté pour sa rigueur comme pour sa capacité à transmettre. “J’appelle ça de l’inspiration. Jouer, c’est connecter avec les émotions des autres pour raconter quelque chose de vrai”, ajoute l’artiste. Face à l’arrivée de l’intelligence artificielle, Tadros tente de rester optimiste. “Ce qui peut nous sauver, c’est si ça sert la science plus que les arts”, soulignant qu’il est devenu particulièrement simple de doubler une production audiovisuelle en quelques minutes grâce à la technologie, sans utiliser de réels acteurs.

L’artiste aux mille métiers

Manuel Tadros n’a jamais choisi entre le théâtre, la musique, la télé, le doublage ou l’écriture. Et c’est peut-être ce qui explique pourquoi, malgré le respect immense qu’on lui porte dans le milieu, il est resté un peu en marge de l’industrie. “J’ai du succès dans chaque affaire, mais tout n’est pas canalisé dans une seule chose”, dit-il. Ce dernier n’en fait pas une plainte, plutôt un constat lucide. “C’est difficile de ne faire qu’une chose dans notre métier. Faut être polyvalent, sinon tu survis pas.

Et quand il dit non, c’est toujours en conscience. Il a récemment décliné une série estivale. “Mon personnage faisait des trucs qui ne me plaisaient pas. C’était pas violent, juste… quétaine”, lance l’artiste. Manuel Tadros se donne aujourd’hui le droit de choisir les projets qui lui parlent et qui font du sens pour l’humain qu’il est. Ce n’est pas une question de pudeur, mais de justesse: “Tu peux jouer un criminel ou un politicien véreux, tant que c’est écrit intelligemment.

Le retour de la voix chantée

Cariño, son nouvel extrait, figure dans un projet qu’il porte depuis longtemps. Très longtemps. Les chansons qui y sont déposées ont été écrites sur trente ans. Pour l’artiste, ce disque, c’est un retour au cœur. Celui d’un homme qui a chanté pour les autres, qui a doublé des héros, qui a mis sa voix au service de personnages qui ont forgé l’imaginaire. Et qui aujourd’hui, des années plus tard, Manuel Tadros veut chanter ses textes.

Le ton est poétique, assumé, libre. “C’est mon monde à moi. J’ai travaillé avec cinq réalisateurs, chacun avec une approche différente”, ajoute-t-il. Le combat pour faire entendre cette musique n’est pas simple. L’album ne se situe pas dans un son commercial qui peut plaire au directeurs musicaux dès la première écoute. Même le pisteur radio qu’il engage à la promotion lui mentionne au départ qu’il ne peut rien faire avec ces chansons. Trois jours plus tard, il revient sur sa décision et la chanson tourne. Le rêve de Manuel Tadros redémarre. “Je n’ai jamais voulu faire un album pour faire un album. Là, c’était le bon moment.

Crédit : Steven Grondin

Père, mais pas seulement

On ne peut évoquer Manuel Tadros sans parler de Xavier Dolan. Son fils. Son double, parfois. Son contraire aussi. Une relation complexe, marquée par des silences, des tensions et des retrouvailles.

Je l’ai toujours su que ce garçon-là n’était pas un enfant comme les autres. Il parle avec une émotion brute, sans détour. Quand il a écrit J’ai tué ma mère, j’ai dit : tu vas aller à Cannes avec ça”, souligne le paternel avec fierté. Ce n’est pas qu’un regard de père fier, c’est celui d’un homme qui connaît les sacrifices qu’exigent la création et cette industrie… pour rester au sommet. “Xavier n’a pas vraiment eu de jeunesse ou pas d’ancrage. Très jeune, de 20 à 30 ans, sa vie a été un feu roulant”, se souvient Manuel Tadros.

Leur relation s’est apaisée depuis les dernières années. “On est plus proches que jamais. Il m’a d’ailleurs écrit ce matin! C’est devenu spirituel, honnête et de proximité”, dit-il. Tadros ajoute: “J’ai deux fils. Et ils ont tous les deux besoin d’amour, chacun à leur manière.

La France, encore

Manuel Tadros aurait pu faire carrière en France. Dans les années 80, il part avec ses cassettes, convainc des maisons de disques au téléphone. “J’ai réussi à avoir une dizaine de rendez-vous en trois semaines”, raconte-t-il, tout sourire. Mais à l’arrivée à Paris, sa valise est forcée et toutes ses cassettes sont volées. Pas de copie, pas d’USB, pas d’internet. “À ce moment-là, j’ai eu la chienne. Je n’ai pas continué”, avoue l’artiste. Il abandonne ce rêve-là. Jusqu’à aujourd’hui. Cariño vient d’être envoyé à 1500 stations européennes. “On verra. Peut-être que ce moment que j’ai tant attendu me revient, 40 ans plus tard”, conclut Manuel Tadros, sereinement.

Militant de l’ombre

Peu de gens le savent, mais Manuel Tadros est aussi l’un des membres fondateurs de la société Artisti. Il a siégé pendant treize ans au sein de son conseil d’administration, a défendu les conditions de travail dans les variétés, s’est impliqué à l’UDA, à la SODEC, dans les coulisses du milieu culturel. “J’ai toujours été un battant. Parce que j’étais un étranger, pas un Québécois d’origine”, lance-t-il. Tadros se souvient qu’on l’a renvoyé de sa propre émission de télévision en 1984. “Pas parce que je ne faisais pas le boulot, mais parce que je n’étais pas Québécois.” Aujourd’hui, il n’en fait pas un combat identitaire, mais un rappel : “Il ne faut jamais oublier d’où on vient, ni qui on est.

À l’aube de ses 70 ans, Manuel Tadros profite de tous les bonheurs que lui apportent ce métier et sa vie de famille. “Je suis fier de mon album, je suis fier de qui je suis. Je veux que le public puisse découvrir cette nouvelle facette que je n’ai jamais montrée avant”, dit-il. Parce que, pour lui, il n’est jamais trop tard pour changer de direction et aller là où l’on veut vraiment se rendre. “On est toujours au commencement. Toujours.

Précédent
Les idées et les pensées

Les idées et les pensées

Un billet de William Gaboury

Suivant
Les Ballets Jazz Montréal en grande première

Les Ballets Jazz Montréal en grande première

Dans le cadre du Festival des Arts de Saint-Sauveur

Vous pourriez aimer…